Dossier MNA: l’EVAM se moque du Conseil d’Etat

de: Letizia Pizzolato, secrétaire syndicale SSP

Suite aux résultats accablants de l'analyse concernant l'accueil des mineur·e·s non accompagné·e·s, l'auditeur a émis 46 recommandations. La direction de l'EVAM a déja annoncé qu'elle ne les appliquerait pas toutes et rejette les conclusions des expertes. Une attitude déplorable qui laisse peu de chances aux MNA de voir leur situation s'améliorer.

Suite aux interpellations du SSP et du personnel des foyers d’accueil destinés aux mineur·e·s non accompagné·e·s, le canton a commandé en novembre 2022 une analyse approfondie des structures de l’EVAM destinées à prendre en charge ce public. Bien que le canton dise reconnaitre la grande vulnérabilité de ces enfants, arrivé·e·s et demeurant en Suisse sans parents ou famille, parfois après un parcours migratoire éprouvant et traumatisant, ces mineur·e·s sont exclu·e·s du dispositif socio-éducatif cantonal de la protection des mineur·e·s et confié·e·s à l’EVAM, sous la tutelle du Département de l’économie, et de l’innovation, de l’emploi et du patrimoine (DEIEP).

Cette discrimination, basée sur leur statut de migrant·e·s au détriment de leurs droits en tant qu’enfants, viole la convention des droits de l’enfant et est dénoncé depuis 2015 par le SSP et ses membres, éducateurs et éducatrices engagé·e·s sur le terrain. En l’absence de réaction politique, cette pratique discriminatoire n’a cessé de porter gravement atteinte aux intérêts et aux bien-être des enfants, et ce malgré les promesses du Conseil d’état et les déclarations de l’EVAM.

Des manquements connus mais qui perdurent en toute impunité

En 2018 déjà, le Canton constate les manquements graves de l’EVAM en matière de prise en charge socio-éducative, suite à une importante mobilisation, marquée par des grèves du personnel éducatif organisées par le SSP. Malgré ces constats, le Canton décide alors de maintenir sa confiance en l’EVAM, qui a pourtant fait la preuve de son incapacité à garantir un encadrement éducatif centré sur l’intérêt et les besoins de l’enfant.

Quelques aménagements sont opérés et un concept socio-éducatif, élaboré par les équipes éducatives, est mis sur pied sous la conduite de la protection des mineurs. Mais rapidement, la nouvelle direction abolit unilatéralement ce concept, qui sera remplacée par des « marches à suivre » au référentiel coercitif, basé sur des lois et normes issus de la politique d’asile, instaurant un climat de travail délétère, tant pour les enfants que pour le personnel éducatif. L’EVAM justifiera plus tard ses manquements par une forte augmentation du nombre de mineur·e·s accueilli·e·s, mais les faits démentent clairement ces déclarations : dès 2019, soit bien avant que la courbe des arrivées ne s’envole, l’EVAM s’est déjà volontairement placé en violation de obligations et exigences qui viennent pourtant de lui être rappelées.

Résultat de l’analyse : les dénonciations du SSP validées et des violations graves constatées à nouveau

Après de longs mois d’attente, nécessaire à une analyse complète et de qualité, qui ont vu les foyers continuer de se vider de leur personnel formé, le rapport de la société TAKT est enfin rendu public. Les constats sont clairs et sans équivoque : l’EVAM a gravement manqué à ses obligations vis-à-vis des enfants accueillis et le Conseil d’état n’a pas rempli son devoir de surveillance. L’encadrement des enfants se déploie en violation des exigences légales, l’intérêt des mineur·e·s n’est pas mis en centre des décisions les concernant, leurs besoins particuliers sont ignorés et leur protection n’est pas assurée. Peut-être que, comme le déclare la Cheffe du DEIEP, Mme Moret, « personne n’a dormi dehors » – ce qui reste à démontrer. En tout cas, le soin dû aux enfants est un peu plus exigeant que cela et le rapport est alarmant. Il met en évidence une problématique structurelle de fond, qui se déploie dans tous les aspects de la prise en charge. L’analyse pointe tant l’abolition du concept éducatif que l’absence de pratiques adaptées, l’insécurité et les changements incessants imposés aux enfants, une hiérarchie sans formation sociale et sans ancrage local, et l’absence de possibilité pour les enfants de signaler des mauvais traitements ou, comme l’exemplifie le rapport, des attitudes racistes ou d’intimidation.

Le climat de travail délétère et une communication défaillante sont également signalés, le rapport indiquant une fracture entre des cadres satisfaits d’eux-mêmes et un personnel de terrain en souffrance, qui dénonce l’impossibilité d’effectuer un travail professionnel cohérent. Finalement, les services de l’État sont également pointés du doigts, la DGEJ ayant failli à ses devoirs de surveillance, et derrière elle le DJES et le DEIEP, dont l’inaction ont gravement porté atteinte aux MNA et à leurs droits.

Le Canton face à ses responsabilités

Pour le SSP et ses membres, ce rapport est synonyme autant de colère que de soulagement. Soulagement de voire enfin nos signalements validés, formalisés et rendus publics. Colère de constater la gravité des manquements et leur durée, et ce alors que la situation était dénoncée et connue depuis 2017. Sans la mobilisation acharnée du SSP et de ses membres, il est ainsi certain que rien n’aurait été fait, dans la plus totale indifférence de l’État et de ses services.

Le Conseil d’État a accompagné sa communication sur la publication du rapport d’analyse de nouvelles promesses. Intitulée « Le Canton renforce la prise en charge des mineurs non accompagnés », celle-ci prête à sourire lors que l’on parcourt le rapport. Peut-on en effet parler de renforcement au sujet d’un dispositif si défaillant et qui s’inscrit dans l’illégalité ? Tout est à revoir, comme l’annonce clairement les 46 recommandations de l’analyse, dont 31 sont urgentes à très urgentes.

L’exclusion des MNA du dispositif socio-éducatif du Canton, sous la direction de la protection des mineur·e·s, doit cesser. L’EVAM a fait, une fois encore, la preuve de son incapacité à prendre en charge ce public et à travailler dans le respect des normes et pratiques qui dictent la prise en charge éducative d’une population aussi vulnérable que celles d’enfants isolés. Quel·le contribuable ou quelle famille pourrait prétendre à autant de mansuétude de l’État face à ses propres manquements ?

Par ailleurs, les récentes communication de la Direction de l’EVAM montrent, s’il fallait encore convaincre, que les perspectives de mise en conformité sont illusoires s’agissant de l’établissement. Alors que le Conseil d’État assure, dans son communiqué de presse mais également dans sa communication au SSP, vouloir mettre en œuvre les recommandations du rapport, le Directeur de l’EVAM a déjà annoncé par e-mail à l’ensemble de son personnel, remettre en question la validité du rapport comme de ses résultats, qu’il considère comme « objectivement erronés ou incomplets, [basés] sur des hypothèses que nous ne partageons pas ». En annonçant la publication de l’analyse, il informe ainsi ses collaborateurs et collaboratrices, à contre-courant des déclarations du Conseil d’État, que « les recommandations ne seront pas mises en œuvre », semant ainsi une confusion totale au sein du personnel.

Comment le Conseil d’état peut-il envisager la poursuite de ce mandat ? Il est désormais de sa responsabilité d’agir dans le respect de l’intérêt supérieur des mineur·e·s et de mettre un terme à la discrimination qui touchent ses enfants, l’EVAM ayant, par la voix de son directeur, encore démontré son incapacité à comprendre les enjeux et exigences propres à l’accueil des mineur·e·s comme les impératifs qui s’imposent à tout organisme qui prétend à leur prise en charge.