Face à la perspective d’une crise énergétique provoquée par l’agression russe contre l’Ukraine, les autorités fédérales, cantonales et les directions des hautes écoles annoncent des plans de réduction de la consommation électrique. Nous contestons ces plans parce qu’ils prévoient de reporter sur les salarié·es et étudiant·es la charge de ces réductions. De plus, ces plans ne favorisent aucunement (voire retardent) la politique de sortie des combustibles fossiles qui devient chaque jour plus indispensable.
Les causes de la crise actuelle
La situation à l’Est de l’Europe ne doit pas servir à camoufler les causes véritables de l’augmentation des coûts de l’énergie et des risques de pénurie. Parmi celles-ci, nous soulignerons les suivantes :
- Le sous-développement des énergies renouvelables ;
- Les politiques actuelles qui favorisent des niveaux de consommation énergétique très élevés (nouvelles constructions inadaptées au changement climatique, subvention du trafic aérien, soutien au trafic motorisé individuel, etc.) ;
- La spéculation, à laquelle les institutions financières suisses participent largement ;
- La libéralisation du marché de l’électricité, que le SSP et d’autres organisations avaient combattue par référendum.
En tant que syndicat, nous devons souligner l’importance des services publics pour résoudre les crises énergétiques, sociales et environnementales qui nous frappent. Le fait que l’énergie est considérée comme un bien de consommation comme les autres, susceptible de générer des profits, est la source des risques de pénurie et de l’explosion du coût de l’électricité, nullement un moyen de résoudre ces problèmes.
Qui va payer ?
Au-delà de ces questions générales, les motivations des différents plans annoncés par nos institutions ces dernières semaines suscitent des interrogations. Les mesures annoncées ne viseraient-elles pas davantage à compenser l’augmentation des coûts de l’énergie qu’à entreprendre de réelles économies d’énergie ?
Dans le cas de l’Université de Lausanne, mais il en est de même à l’EPFL, l’explosion de la facture d’électricité est directement liée à la signature de contrats sur le marché dit « libre », une politique à courte vue puisque les économies réalisées sont d’un seul coup annihilées au premier problème d’approvisionnement. S’il fallait encore une démonstration grandeur nature de l’absurdité de la libéralisation du marché de l’électricité, nous l’avons ! De plus, plusieurs des mesures envisagées ne conduisent pas à une économie d’énergie globale, mais à un transfert de charge en direction des salarié·es qui devraient se chauffer, cuisiner et utiliser leurs ordinateurs à leur domicile, comme lors des confinements sanitaires successifs de ces dernières années, au lieu de bénéficier de ces services sur leur lieu de travail. Ces mesures n’ont donc rien à voir avec des politiques visant à économiser l’énergie, mais visent à réduire une facture artificiellement gonflée par l’approvisionnement sur le marché libre.
Nos revendications pour cet hiver
Dans la perspective de cet hiver, et quelles que soient les conditions d’approvisionnement, voici nos revendications :
- Nous aimerions rappeler en préambule que les hautes écoles sont à nos yeux des infrastructures essentielles. Les hautes écoles sont des services publics, des services au public, et doivent rester ouvertes et fonctionnelles, quelles que soient les circonstances.
- Nous refusons tout recours à l’enseignement à distance, qui ne serait qu’un transfert de charges des hautes écoles vers les étudiant·es et enseignant·es. Les expériences d’enseignement à distance de ces deux dernières années nous ont en outre montré que la dégradation de la qualité des enseignements et la perte des liens sociaux qu’elle induit sont dramatiques, et pour nous inacceptables.
- L’appel aux changements des comportements individuels (de la mise hors tension des appareils en veille à l’utilisation déconseillée de vaisselle jetable) fait porter la responsabilité des économies d’énergie sur les salarié·es ou étudiant·es, alors que les changements requis ne peuvent être mis en place que de manière structurelle, et réfléchis de manière collective.
- Les économies d’énergie, voire les éventuelles coupures, doivent être négociées avec le personnel et les étudiant·es pour qu’elles soient cohérentes avec la réalisation de leurs activités. Elles doivent être cohérentes avec l’objectif d’une réelle diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Ce qui doit être engagé le plus vite possible
Le débat sur l’énergie qui doit avoir lieu dans les hautes écoles ne doit pas se faire contre les conditions de travail et d’études des étudiant·es et des salarié·es. Les coûts de la bifurcation et des dégâts dus au dérèglement climatique doivent être couverts par les principaux responsables, à savoir les entreprises des secteurs les plus fortement émetteurs et leurs propriétaires.
Dans le secteur public, ces coûts doivent donc être couverts par l’impôt, et, par exemple, par une imposition spéciale des responsables que nous venons de nommer. Les travaux à effectuer sont importants. Nous devons améliorer le bilan énergétique de bâtiments et d’équipements qui, même s’ils sont parfois récents, n’ont pas été pensé pour faire face à la crise environnementale. Un soutien financier substantiel doit être apporté à l’ensemble des salarié·es et des étudiant·es pour décarboner leurs trajets, avec le financement d’abonnements de transports publics pour tout le monde.
Il faut modifier nos pratiques au niveau de l’enseignement, de la recherche, de l’équipement. La diminution des trajets en avion doit s’accompagner d’une autre gestion des calendriers et des enseignements, et pas d’une généralisation des conférences en ligne (qui ne sont pas neutres d’un point de vue climatique). Cela suppose aussi d’augmenter les moyens humains dédiés à l’enseignement et à la recherche, ce qui aurait pour effet bénéfique d’améliorer le taux d’encadrement.
L’État de Vaud doit immédiatement prendre des mesures radicales afin de décarboner sa caisse de pension, et utiliser sa fortune pour participer aux transformations nécessaires, dans le domaine du logement par exemple.
Par ailleurs, il doit interdire à toutes ses institutions de négocier des contrats sur le marché libre de l’électricité, compte tenu du risque que cela représente pour les finances publiques.
Les offres de restauration collective dans les lieux d’étude doivent redevenir un service public, qui permette d’offrir des repas à des prix sociaux, et de décider collectivement de l’offre (diminution de la consommation de viande, circuits courts d’approvisionnement, disparition de la vaisselle jetable, etc.). Enfin, cela fait au moins cinquante ans que les penseuses et penseurs de l’écologie répètent qu’une économie compatible avec la survie de notre environnement suppose une diminution substantielle du temps de travail.
Le rôle de la recherche
Enfin, on rappellera aux autorités politiques que les milliards investis dans la recherche ne le sont pas pour le seul amusement des chercheurs et des chercheuses, mais que les compétences accumulées depuis des décennies sur les questions qui nous occupent pourraient être mises à contribution pour imaginer et développer un programme ambitieux de bifurcation écologique. Les centres de recherche des hautes écoles pourraient par exemple développer des systèmes informatiques économes en énergie et en matières premières, et reposant sur les besoins des utilisatrices·eurs et non sur la captation de profits. Les spécialistes de sciences sociales travaillent depuis des décennies sur les rapports de pouvoir qui empêchent de décarboner nos économies et qui augmentent l’utilisation des énergies fossiles, tout en enrichissant les entreprises qui les exploitent. Enfin, certain·es économistes réfléchissent depuis longtemps au développement de modèles alternatifs de production, de travail et de consommation.
(Article publié dans la Lettre Info no 19 des Hautes Écoles, décembre 2022)