Les contreverités du gouvernement Luisier, épisode 2 (fact-checking)

Les syndicats SSP, FSF et SUD reviennent point par point sur les affirmations erronées du Gouvernement Luisier dans le cadre de la mobilisation des services publics et parapublics vaudois.

Photo: Valdemar Verissimo

A la suite de plusieurs mois de mobilisation massive des salarié·e·s des services publics et parapublics vaudois, le Conseil d’Etat a été contraint d’ouvrir des « négociations » avec une délégation des organisations professionnelles et syndicales. Deux rencontres ont eu lieu. A l’issue de la deuxième rencontre, le gouvernement Luisier a envoyé un communiqué aux médias, suivi deux jours plus tard d’un courriel à tout·e·s les salarié·e·s de l’administration cantonale et du CHUV. Le contenu de ces deux communications prend, à nouveau (voir notre premier fact-checking du 27 janvier 2023 sur le discours du Conseil d’Etat), un certain nombre de liberté par rapport à la réalité. Ce document vise à rétablir un semblant d’objectivité dans la présentation de la situation.

Le gouvernement Luisier affirme prendre acte avec regret du retrait des associations du personnel en dépit d’une enveloppe supplémentaire de 47 millions

Faux 1 : il ne s’agit pas d’un retrait des associations du personnel mais bien d’un blocage des discussions. Les propositions du gouvernement Luisier étaient beaucoup trop éloignées des demandes des salarié·e·s et ont eu pour conséquence le blocage des discussions.

Ce blocage a trait à trois principaux éléments :

  1. Le décalage entre le montant nécessaire et celui annoncé par le Conseil d’État : Alors que le taux d’inflation selon l’IPC d’octobre 2022 était de 3%, le Conseil d’État a pris la décision politique d’indexer les salaires à hauteur de 1.4%. Une compensation à 3% nécessiterait un financement d’un peu plus de 100 millions de francs. Or, le Conseil d’État a posé sur la table, au cours des négociations du 22 mars, 10 millions de compensation (sous forme de prime) pour tout·e·s les salarié·e·s du public et du parapublic. Après que les syndicats ont interrompu la séance et marqué un dur refus, le Conseil d’Etat a ajouté 5 millions pour porter la compensation à 15 millions. Ce montant équivaut à environ 15.-/mois par personne et à une compensation non pérenne de seulement environ 0.18%. Le gouvernement Luisier a indiqué qu’il s’agissait du dernier montant qu’il était prêt à mettre, amenant ainsi à un blocage des discussions. Les syndicats se sont donc retirés car il n’y avait plus rien à discuter. Cela ne nous empêche pas de réfléchir à des contre-propositions

  2. Le versement en 2024 et non en 2023 de cette prime qui ne compense largement pas la perte de pouvoir d’achat ne répond pas aux besoins financiers immédiats des salarié·e·s de la fonction publique et parapublique qui font face à une inflation atteignant désormais 5.6% selon l’IPC de février 2021 à mars 2023.

  3. Le versement de la compensation sous forme de prime et non de salaire inaugure un nouveau dispositif, alternatif à l’indexation, de « compensation » de la perte du pouvoir d’achat liée à l’inflation. Le gouvernement Luisier a en effet annoncé que cette « prime » pourrait être discutée « chaque année lorsqu’il y a inflation ». Ce qui indique, en creux, que l’indexation de référence (à l’IPC) ne serait plus d’actualité à l’Etat de Vaud. Ce nouveau dispositif, du fait de la nature-même de la « prime » (non pérenne et non intégrée au salaire) a des effets énormes non seulement sur les pertes salariales cumulées sur la carrière mais également sur la somme des cotisations au deuxième pilier, affaiblissant donc les futures rentes des salarié·e·s.

Faux 2 : Ce chiffre de 47 millions est obtenu par l’addition de dépenses qui n’ont ni la même origine, ni le même statut, ni le même but. Le Gouvernement Luisier veut encore une fois faire gonfler artificiellement un chiffre et donner une fausse image de générosité. La technique est assez simple, additionner des chiffres et les présenter en terme absolu (et non relatif), faisant ainsi croire que les syndicats et les salarié·e·s qu’ils représentent sont des enfants gâtés qui ne se satisfont pas d’une offre de plusieurs millions. Cela crée un halo de confusion qui masque l’enjeu réel de la discussion : ce que propose le Conseil d’Etat revient à dévaloriser le travail (baisser le salaire réel) des employé·e·s des services publics et parapublics.

Sur l’enveloppe annoncée de 47 millions de francs, seuls 15 millions sont destinés à compenser la perte de pouvoir d’achat impliqué par le taux d’indexation décidé par le Conseil d’Etat et ces 15 millions seront versés seulement en 2024 et ne seront pas pérennisés.

Les autres montants de l’enveloppe concernent des mesures qui n’ont strictement rien à voir avec l’indexation des salaires. Elles visent à répondre à d’autres besoins que nos organisations n’ont en aucun cas remis en cause : Bien au contraire, les syndicats interpellent de longue date les autorités sur tous ces sujets. Ces montants ne répondent cependant pas au problème immédiat que constitue la perte de pouvoir d’achat des salarié·e·s des services publics et parapublics.

Faux 3 : les trois organisations syndicales présentes autour de la table ont accepté de discuter des autres mesures contenues dans l’enveloppe mais dans une configuration permettant réellement de le faire. En effet, ces mesures concernent des domaines parfaitement disparates – CCT du social et de la santé, école inclusive, prévention du harcèlement sexuel et moral, protection des lanceurs d’alerte – au sujet desquels les délégations présentes n’étaient pas habilitées à négocier.

Plus encore, il est même faux de dire que le Conseil d’Etat entendait discuter de ces autres mesures puisque :

  • Les mesures de « renforcement structurel » ont été simplement présentées et ne pouvaient de fait pas être l’objet de négociations.

D’une part, concernant les mesures liées au DEF, tant l’amélioration de l’ « encadrement scolaire et santé mentale » pour un coût de 10 millions que le renforcement de la « protection des mineurs » pour 1,2 millions sont des projets déjà ficelés (voir la présentation du Conseil d’Etat disponible sur son site). Outre le fait qu’une négociation sur ces points devrait être menée par des délégations spécifiques et au fait des enjeux de ces objets, on voit mal ce qu’il reste à négocier vu le détail de la proposition du DEF.

D’autre part, les mesures de la « prévention des risques psychosociaux » (0,8 millions) n’auraient pu en aucun cas être négociées, puisque la cheffe du DCIRH (responsable du dossier) nous a annoncé elle-même que nous serions convié·e·s à des négociations sur ces questions dès que le projet de réforme du règlement relatif à la gestion des conflits au travail et à la lutte contre le harcèlement (RCTH) serait prêt.

  • Les « mesures salariales » concernant les secteurs parapublics de la santé (5 millions) et du social (15 millions) quant à elles, sont supposées, selon le gouvernement, être décidées par les commissions paritaires professionnelles (CPP) en charge de gérer les deux conventions collectives de travail (CTT sanitaire et CCT du social). De plus, la Cheffe du DSAS cite elle-même, en ce qui concerne le social, les Assises du secteur social de l’automne 2023 comme prochaine étape.

Ainsi, une lecture honnête des simples faits montre que, même selon le Conseil d’Etat, le seul objet à négocier le 22 mars était la gestion des conséquences de l’indexation au-dessous de l’inflation décidée par le gouvernement Luisier. Cet objet de négociation que nous avons d’ailleurs dû arracher au gouvernement est la raison pour laquelle nous sommes venu·e·s le 22 mars. Cest également ce que demandent depuis des mois des milliers de salarié·e·s au-travers des résolutions votées sur les lieux de travail, de leurs grèves et de leurs participations aux manifestations et actions.

Or, cette « négociation » a bel et bien eu lieu puisque nous avons fait part de notre profonde insatisfaction non seulement sur le montant proposé (qui a été d’ailleurs augmenté sous notre pression) mais également sur les modalités de son versement (non-pérennité de la mesure). C’est le gouvernement Luisier qui a mis fin à la discussion du jour en nous affirmant qu’il n’irait pas plus loin.

Dans son message aux salarié·e·s, le gouvernement Luisier se dit « attaché à la fonction publique et parapublique, ainsi qu’à ses conditions de salaire et de travail ».

Faux 4 : si le gouvernement Luisier était réellement attaché aux conditions de salaire et de travail de la fonction publique et parapublique, il ne baisserait pas les salaires réels des 70'000 personnes concernées par cette décision. Pour rappel, le taux d’indexation choisit par le Conseil d’Etat est largement inférieur aux taux mentionnés dans sa propre base légale (3% selon la LPers ; 2.2 (Décembre 2013). Il est également bien en-dessous des taux d’indexation retenus dans d’autres cantons (3.5% Zurich ; 3.23% Bâle-Ville ; 2.8% Valais ; 2.74% Fribourg ; 1.8% Neuchâtel), dans d’autres communes du canton de Vaud (par ex 3.5% Yverdon, 2,97% Lausanne), que par la Confédération (2.5%).

Pire, lors de la rencontre du 22 mars, la Présidente du Conseil d’Etat Christelle Luisier a affirmé que cette prime pourrait être discutée « chaque année lorsqu’il y a inflation ». Le gouvernement dévoile ainsi qu’il veut non seulement ne pas indexer pleinement les salaires en 2023 mais, surtout, que cela inaugure un nouveau dispositif dans lequel la « prime vie chère », qui ne fait pas partie du salaire (donc non pérenne et pas intégrée au calcul de la pension de retraite) est octroyée à bien plaire en compensation de la non-indexation (partielle ou totale) des salaires au coût de la vie.

Avec son « approche globale », le gouvernement envoie un message très clair : les salaires des employé·e·s des services publics et parapublics deviennent la variable d’ajustement du budget. Dans ce nouveau dispositif, s’il reste de l’argent après les arbitrages entre départements et les baisses d’impôts, alors, peut-être, le gouvernement octroiera-t-il - tout au plus - un bout d’indexation et une part de prime.

Cela signifie que le gouvernement compte financer les prestations à la population en partie sur le dos des salarié·e·s qui les délivrent. Cela signifie l’abandon de la possibilité d’une indexation automatique à l’IPC et donc une baisse continue des salaires réels tant que durera l’inflation.

Voilà une manière bien particulière de montrer son attachement à la fonction publique et parapublique ainsi qu’à ses conditions de salaire et de travail. Tout cela, dans un canton qui dispose de 5.3 milliards de fortune et dont les comptes sont bénéficiaires depuis 17 ans. Et le seront, à n’en pas douter, cette année encore.

Nous réitérons donc ce que nous avons déjà affirmé : Le gouvernement Luisier a décidé de dévaloriser le travail des salarié·e·s des services publics et parapublics du canton de Vaud alors même que la loi lui permettait d’en faire autrement et qu’il avait les moyens de permettre à ses salarié·e·s de conserver leur pouvoir d’achat.

Au lieu de tenter de semer la confusion, le gouvernement Luisier devrait assumer ses choix politiques afin qu’un vrai débat s’ouvre.

Le gouvernement Luisier affiche un rare cynisme en attaquant celles et ceux dont il se réjouit de pouvoir compter sur le travail.

Le choix du gouvernement Luisier est une déclaration politique : le service public et parapublic n’est pas sa priorité, et les salarié·e·s qui en délivrent les prestations sont une simple variable d’ajustement.

C’est un choix que nous refusons et contre lequel nous continuerons de lutter.

Forte de ces constats, l’Assemblée générale de la fonction publique et du secteur parapublic a pris connaissance de cette situation et a décidé d’appeler à une journée de grève le 28 mars et à une manifestation en fin de journée (17h45 à l’Esplanade de Montbenon). Cette décision est complétée par un appel à des actions dans la semaine du 27 au 31 mars.

Les contreverités du gouvernement Luisier, épisode 2 (fact-checking)

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