On entend depuis quelque temps parler de projets de partage des bureaux dans les Hautes Écoles, sous couvert de "rationalisation" et, plus récemment, de sobriété écologique. Le futur "campus santé" en construction à la Bourdonnette et qui accueillera nos collègues de HESAV, de La Source et de la FBM, imaginé sans concertation sérieuse avec ses futur·es utilisateurs·trices, pourrait par exemple abandonner le principe des bureaux individuels pour les enseignant·es et les chercheurs·euses.
À l’UNIL, à Géopolis, des travaux ont commencé début mai pour transformer les espaces de travail du centre FORS en open space et en shared office, c’est-à-dire sans place de travail personnelle. Dans ce cas aussi, les décisions ont été prises de manière verticale, sans que les personnes directement concernées puissent faire entendre leurs réticences face à cette violente dégradation de leurs conditions de travail.
Car le lieu de travail fait partie intégrante des conditions de travail, ce qui nécessite de s’y intéresser et d’en prendre soin. Cela concerne la place de travail, son mobilier, son éclairage, l’aération des locaux, leur température, le bruit, mais aussi les bâtiments et les espaces adjacents, ainsi que leur localisation, et notamment leur accessibilité en transports publics. Sur toutes ces questions, les expert·es sont évidemment les personnes qui travaillent dans les espaces concernés, et non les cabinets chargés de proposer des plans de rationalisation sans aucune idée du travail et des habitudes des personnes qu’ils vont faire déménager.
Selon une tradition hélas bien ancrée dans les Hautes Écoles, on a une fois de plus omis de consulter les spécialistes de ces questions avant de prendre des décisions. On aurait pu par exemple demander ce qu’en pensent les sociologues du travail, qui depuis de nombreuses années font des enquêtes sur les effets de l’open space et du shared office dans les entreprises ou les administrations. Leurs conclusions sont à peu près unanimes : ces changements sont catastrophiques. Ils cassent les collectifs, dégradent les conditions de travail, augmentent les maladies et le mal-être des salarié·es, conduisent à une désertion des espaces et entravent la coopération. La seule chose qu’ils "améliorent", c’est le contrôle des salarié·es par la hiérarchie et, par conséquent, le pouvoir de cette dernière.
Il faut résolument s’opposer à toute transformation autoritaire des espaces de travail et exiger que leurs évolutions soient décidées en premier lieu par les premiers·ères concerné·es. Il faudrait aussi rappeler que les frais et l’impact écologique liés à la construction de lieux de travail ou à leur entretien ne disparaissent pas miraculeusement lorsque les salarié·es ne s’y trouvent pas, mais qu’ils sont simplement transférés sur ces derniers·ères.
Quelques références :
- Caroline Datchary, La dispersion au travail, Toulouse, Octarès, 2011.
- Alexandre Des Isnards, Thomas Zuber, L’open space m’a tuer, Paris, Hachette, 2009.
- Rachel Morrison, Keith Macky, « The demands and resources arising from shared office spaces », Applied Ergonomics, 60(3), 2016.