Les dangers de l’enseignement virtuel

Les pressions pour une généralisation de l'enseignement virtuel, en format hybride ou par l'enregistrement des cours, se poursuivent et dessinent un avenir inquiétant pour les activités pédagogiques dans les Hautes Écoles.

Syndicat des professeur·e·s de l'UQAM

On avait brièvement espéré que l’expérience catastrophique de l’enseignement en ligne ou hybride pendant les confinements successifs de 2020 et 2021 avait durablement vacciné les enseignant·es contre la pédagogie virtuelle. Ces évolutions se sont malheureusement accélérées.

On avait oublié l’attrait des "solutions techniques" auprès des institutions lorsqu’elles permettent de traiter à peu de frais des problèmes auxquels il faudrait sinon allouer des moyens plus importants.

C’est ce qui se passe avec la volonté de prolonger l’utilisation de l’enseignement à distance, qu’il faut voir dans bien des cas comme une mauvaise solution apportée à des problèmes réels.

LA FAUSSE ARTICULATION ÉTUDES-TRAVAIL. L’argument le plus fallacieux consiste à présenter le télé-enseignement comme un remède aux inégalités d’accès aux études supérieures. Comme il offre la possibilité de suivre les enseignements le soir et le week-end, il permettrait aux étudiant·es désargenté·es de travailler pour financer leurs études.

Or, le problème est qu’il n’existe pas de système de bourses d’études digne de ce nom en Suisse et que les subsides qu’il faut extorquer au canton de Vaud, pour prendre cet exemple, ne couvrent pas les coûts effectifs d’une formation. En prétendant pallier cette carence par des moyens "techniques", on exonère de fait des gouvernements et parlements successifs qui se satisfont en réalité sans problème de l’inégalité actuelle dans l’accès aux études, et qui en font même pour certain·es le principe de base de leur politique de formation.

UNE PÉDAGOGIE DÉGRADÉE. Le mode d’enseignement hybride est en fait la pire des solutions, puisqu’il contraint à défavoriser l’une des deux modalités proposées – la présence dans la salle ou l’écoute en ligne – car l’organisation de ces deux modes d’enseignement est très différente.

Les modalités pédagogiques d’un enseignement en ligne sont très différentes de l’enseignement dans une salle de cours, comme les collègues travaillant pour UniDistance le savent depuis de nombreuses années. Supposer qu’un cours puisse être suivi indistinctement à distance ou dans une salle de cours ignore toutes les recherches faites à ce sujet depuis bien avant la pandémie.

L’enseignement virtuel, avec les supposés avantages de la "flexibilité" qu’il permettrait, aggrave en réalité les inégalités entre les étudiant·es, réservant les meilleures conditions d’études aux personnes pouvant suivre les cours en présentiel tout en proposant une pédagogie dégradée aux autres. Ces inégalités sont encore aggravées par les conditions très différentes dans lesquelles les un·es et les autres peuvent suivre des enseignements en ligne, selon le matériel et l’espace qu’ils et elles ont à disposition dans leur logement.

Lorsqu’on argue des bénéfices du télé-enseignement pour les personnes en situation de handicap, on met simplement aux orties des années de combat pour garantir l’accessibilité des espaces d’enseignements à tou·tes.

L’ÉCOLOGISME HYPOCRITE. Le télé-enseignement permettrait de limiter les trajets et de lutter contre le réchauffement climatique. L’argument prend le problème par le mauvais bout. Le véritable enjeu, c’est la situation du logement. Le nombre de logements à des prix abordables à proximité des établissements d’enseignement (c’est-à-dire dans les villes) et les possibilités d’hébergement offertes par les institutions elles-mêmes sont notoirement insuffisants, et devraient donc constituer l’une des priorités de la politique actuelle de la formation supérieure.

L’offre en transports publics et l’encouragement à les utiliser font également partie de ce problème, qui ne peut ni ne doit être traité par la fausse solution de l’enseignement virtuel. Les inégalités dont nous parlions plus haut sont donc à nouveau reconduites : le meilleur enseignement pour celles et ceux qui habitent dans les centres-ville, et un cursus de seconde classe pour les autres.

Il en est de même avec les capacités d’accueil des salles dans les hautes écoles et le manque de places pour les étudiant·es, notamment dans les cours de première année. Penser pouvoir lutter contre la crise climatique en construisant moins d’auditoires aura pour seule conséquence de freiner la timide démocratisation des études que l’on connaît en Suisse depuis une vingtaine d’années. Il faut ajouter à ces points que l’impact écologique des systèmes de stockage et de transmission des énormes quantités de données produites par l’enregistrement des enseignements est substantiel, et qu’il s’accroît chaque jour. La situation est encore pire lorsque l’enseignement est délivré de manière hybride puisque cet impact est doublé, cumulant les effets de l’enseignement présentiel et virtuel.

Bien loin de lutter contre les inégalités déjà existantes, comme certain·es le prétendent, le télé-enseignement ne fait que les aggraver. C’est la raison pour laquelle il faut s’y opposer.