Au CHUV, tous les signaux sont en rouge depuis plusieurs années. Au cours des derniers mois, la situation s’est aggravée: taux d’absence, taux de rotation (démissions), suppression de prestations aux patient·e·s (fermetures de lits), pressions sur le personnel. Tous les indicateurs disent la même chose: la crise est grave. Dans ce contexte, la conseillère d’Etat (PS) Rebecca Ruiz, cheffe du Département de la santé et de l’action sociale (DSAS), impose le premier plan d’économies dans le service public vaudois depuis vingt ans…
Alors que la situation objective de l’hôpital nécessiterait l’injection massive d’argent public pour redresser la barre, la cheffe du DSAS a décidé de mettre en œuvre un plan d’économies de 25 millions de francs. Car «il n’est pas question de laisser filer le déficit du CHUV», a-t-elle expliqué à plusieurs reprises. Le Grand Conseil exige des mesures de redressement financier. Et la seule réponse de la cheffe du DSAS est, au lieu de défendre l’hôpital public, d’accepter cette pression financière sur un établissement en souffrance!
Aggraver les problèmes
À l’automne 2022, plus de 7000 salarié·e·s de l’institution avaient répondu à une enquête sur le climat et les conditions de travail. Deux problèmes majeurs avaient été mis en avant: la charge de travail trop élevée (pour 43,9% des répondant·e·s) et les absences des collègues (25,1%). Au lieu de répondre à ces problématiques, le Conseil d’Etat et la direction du CHUV ont choisi d’aggraver la situation.
La première partie du programme d’austérité est arrivée à son terme. Il s’agissait de cibler des économies présentées comme indolores ou d’améliorer les revenus: meilleure facturation des prestations, mesures contre le gaspillage, etc.
Nous entrons maintenant dans la deuxième phase: fin août, la direction a annoncé la création de la task force chargée du suivi d’Impulsion. Cette phase opérationnelle va détruire des postes de travail sur le terrain.
Plus de 130 emplois supprimés?
Début septembre, le directeur des ressources humaines (RH), membre de la task force, a annoncé aux délégations du personnel que cette «direction bis» de l’hôpital allait vérifier l’utilité de chaque poste vacant. Après cet examen, 90% des postes seraient remis au concours et donc occupés – un taux qui n’engage que celles et ceux qui y croient. Les affirmations du directeur RH sont loin d’être rassurantes. Le CHUV compte en effet un peu plus de 12’000 salarié·e·s. Le turnover de l’institution est, selon les derniers chiffres disponibles (datant de 2019), de 11%. Il a sans doute augmenté au cours des dernières années. Si on le garde tout de même comme base de calcul, cela signifie que 1’320 personnes quittent le CHUV chaque année. Si 90% de ces départs sont effectivement remplacés, cela implique que plus de 130 postes seront supprimés. Qui prendra en charge le travail réalisé par ces 130 salarié·e·s sur le départ et non remplacé·e·s? Les employé·e·s qui restent. Et ce, alors que chaque secteur de l’hôpital est déjà sous pression aujourd’hui.
Exemple. En septembre dernier, des lits ont été fermés à la maternité et en pédiatrie, par manque de personnel pour prendre en charge les patient·e·s – prié·e·s d’aller accoucher ou de se faire soigner ailleurs. On parle bien du CHUV: l’hôpital qui se classe parmi les meilleurs du monde doit refuser des patient·e·s, faute de personnel!
Le plan Impulsion mérite donc une large mobilisation des salarié·e·s de l’hôpital public. En défense des patient·e·s et de leur prise en charge, donc des conditions de travail de toutes et tous.
Une mobilisation de terrain
Le 5 octobre dernier, le SSP-CHUV a organisé une rencontre ouverte aux salarié·e·s de l’hôpital autour du projet Impulsion. Par e-mail ou par témoignage direct, de très nombreuses informations sont arrivées au syndicat. Le constat est clair: malgré les affirmations de nombreuses hiérarchies, les effets du plan sur le terrain sont bien réels. Le SSP a donc lancé une campagne dans les services, pour recueillir les informations auprès des salarié·e·s. Objectif: préparer la mobilisation contre les mesures concrètes de ce plan d’économies.
La concurrence privée attaque!
Depuis plusieurs années, les cliniques privées vaudoises tentent d’attaquer le plus grand acteur du marché hospitalier, le CHUV. Cette offensive vise à affaiblir l’établissement public en vue de récupérer des prestations et des patient·e·s. Qui serviront, in fine, à payer des dividendes aux actionnaires des cliniques. Le parti libéral-radical (PLR) se charge de ce travail, en appui politique aux intérêts matériels des membres de la faîtière Vaud Cliniques, qui regroupe les hôpitaux privés du canton. Le président de Vaud Cliniques est Marc-Olivier Buffat, député PLR au Grand Conseil.
Dans le cadre de cette offensive, la Cour des comptes du canton a publié, le 27 septembre dernier, un rapport sur la distribution des prestations d’intérêt général (PIG, qui permettent de financer des activités non prises en charge par le système de financement hospitalier). Selon ce rapport, le financement du CHUV et des hôpitaux d’intérêt public par le canton serait peu transparent. La presse a donné un large écho à ce document. Cependant, elle a passé sous silence un fait éclairant: le rapport de la Cour des comptes a été rédigé par Guy-Philippe Bolay. Or M. Bolay a passé vingt-huit ans (dont plusieurs comme directeur adjoint) à la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), dont Vaud Cliniques est un membre important. M. Bolay a aussi été député PLR au Grand Conseil pendant plus de douze ans.
Le jour même de la publication du rapport, Vaud Cliniques publiait un communiqué reprenant ses conclusions et dénonçant «la concurrence déloyale» faite aux cliniques privées! C’est ce qu’on appelle un tir groupé. Tout indique donc que la pression financière sur le CHUV ne va pas s’arrêter à Impulsion. La droite et les milieux patronaux veulent permettre aux cliniques de s’emparer de parts de marché et de développer leur business. Seul un large front, avec au premier rang les salarié·e·s, pourra défendre un service public de la santé profitant à la population – et pas aux actionnaires.