La conciliation études-famille : une question profondément féministe

Le 24 mai 2023, après plusieurs semaines de discussions avec des parents-étudiant.e.x, de récolte de témoignages et de dialogue avec des acteurs qui défendent le droit des personnes en formation; quelques mères étudiantes se sont rencontrées autour de leurs difficultés et ont soulevé la possibilité de demander l’ouverture d’un dialogue avec l’Université de Lausanne concernant la conciliation études/famille et la reconnaissance de leurs besoins spécifiques.

Illustration Sophie Gagnebin

Concilier la maternité et les études ? En finir avec cette rhétorique néfaste du choix.

Elle est là, sous-jacente aux réponses apportées par l'institution lorsqu’on évoque la conciliation entre la charge familiale et les études, la question du choix d’être mère. Cette rhétorique néolibérale brûle les oreilles de ces femmes qui pour des raisons multiples ont décidé de (re)commencer un cursus universitaire. Dans une société où les femmes auraient le choix d’avancer sur multiples chemins; pour quelles raisons avoir des enfants ne pourraient pas permettre de poursuivre des études ? Pourquoi rencontrent-elles si peu d'écoute de la part de l’institution et autant de difficultés ? En termes de réponse, on trouve la question du choix de la maternité et de son incompatibilité avec le travail universitaire.

Sous cette notion de choix, on y trouve également cette idée de “servitude volontaire de la maternité”, car, au final, les femmes sont sur tous les fronts pour concilier leur vie conjugale, familiale, sociale et professionnelle. Nous pouvons reconnaître que grâce à la Loi sur l’égalité, l'État a développé ses politiques, du moins sa vigilance, concernant les mesures de conciliation famille-travail. Toutefois, cette idée du choix de la maternité continue d'empêcher l’extension de cette réflexion au champ de la formation.

C'est une question fondamentalement féministe; réussir à faire reconnaître les conditions des femmes et leurs expériences, les injonctions, les contraintes socio-économiques et les discriminations qui pèsent sur elles, au-delà de la notion de choix. Le choix d’avoir des enfants n'est pas une marotte, tout comme le choix de faire des études. Nous sommes dans une complète contradiction entre un État libéral qui dit encourager l’adaptation des compétences des travailleuses aux transformations économiques de la société, la populaire notion de “formation tout au long de la vie" et qui pourtant permet aux institutions de faire l’autruche sur les conditions parfois herculéennes d’études de ces femmes. Elles en ont assez d’être renvoyées à leurs responsabilités individuelles de réussir à tout concilier.

Une question féministe: des contraintes inhérentes à la condition des femmes.

Ce sont également des contraintes invisibles qui alourdissent le quotidien de ces étudiantes, ce qu’on appelle la « charge mentale ». Les études sont source de stress et d'épuisement, car celles-ci nécessitent une logistique complexe (cours du soir, horaire découpé, révision pendant les fêtes de fin d’années, travail de groupe) couplée d’une pression à la réussite universitaire, saupoudrée d’inquiétudes quant à leurs situations financières (beaucoup de ces étudiantes se trouvent sans ressource, car placées en zone grise par la bourse). Ces pressions vont encore plus s’exercer dans les familles monoparentales en raison des coûts d’opportunités élevés que représente la poursuite des études. Pourtant, les étudiantes enceintes ou/et déjà mères sont également, voir plus fréquemment, victime de la fameuse « double journée de travail » est une réalité pour la plupart d'entre elles, et notamment pour celles qui ne peuvent externaliser les tâches éducatives et domestiques, faute de moyens financiers. Nous pouvons toutefois rappeler que sans ressources financières et d’offres politiques d'accueil de l’enfance suffisante, cette externalité se reporte sur les grand-mères qui sont encore largement sollicitées pour combler le manque de politique familiale.

De plus, il est important de souligner, l’injonction à être une bonne mère présente et disponible pour son enfant qui pèsent sur elles. Rappelons que selon l’OFS (2020), les étudiant.e.x avec une charge familiale travaillent en moyenne 65 heures par semaine en comprenant les activités rémunérées[1] et le travail domestique. C’est 15 heures de plus en moyenne que les étudiant.e.x sans charge familiale. À l’université, nous sommes encore trop proches de cette conception de l’étudiant conventionnel qui aurait un temps extensible pour répondre aux exigences parfois très compétitives des études supérieures. Cette conception est par ailleurs aveugle aux inégalités de ressources temporelles et financières s’appliquant plus largement aux étudiant.e.x. les plus précaires.

Pas de droits acquis et unifiés : la question de la reconnaissance

Beaucoup de femmes renoncent aux études ou attendent que leurs enfants soient plus grands pour se lancer. Selon l’OFS (2020), les étudiant.e.x supportant des responsabilités familiales représentent 5,3% de la population étudiante. Toutefois, ce chiffre sous-estime les personnes et plus particulièrement les femmes qui souhaiteraient reprendre des études, mais, pour des raisons personnelles et institutionnelles, ne considère pas cette option dans l'immédiat. Il met en avant le peu d’accessibilité aux études pour cette population. De plus, selon l’enquête FORS de 2015 de l’Université de Lausanne, cette population représente environ 4% des étudiant.e.x de l’université. C’est ce chiffre qui est mis en avant par l’administration pour justifier la non-inclusion des étudiant.e.x dans les mesures de conciliations famille-travail. Un chiffre jugé “trop petit pour nécessiter la mise en place de mesures spéciales”, mais qui représente néanmoins environ 500 étudiant.e.x.

Il existe également très peu de droits acquis et unifiés inter-facultés et plus largement à l’échelle cantonale. Cela génère une logique de cas par cas, qui dilue la responsabilité des institutions de formations, leur évite de prendre une position unitaire sur la question et amène un déficit de transparence quant aux critères de décisions. Cela pose également la question de la reconnaissance.

En résumé :

Les voix s’élevant des rencontres avec les étudiantes mères ne demandent pourtant pas de diplôme au rabais. Des mesures de conciliation études-familles ne signifient pas un régime spécifique, mais plutôt la reconnaissance des obstacles systémiques (manque de temps, de ressources financières et de flexibilité des règlements d’études) auxquels elles font face. Elles revendiquent d'être reconnues dans leurs difficultés de tout concilier, de petits réglages pour leur permettre d'arriver au bout sans laisser de plumes ni celles de leurs enfants. C’est pour cela qu’il est primordiale d’ouvrir le dialogue avec l'administration et le corps enseignant.


[1] Rappelons que le total de boursier reste très bas (4%), ce qui nécessite aux étudiant.e.x d’exercer un travail accessoire pour subvenir à leurs besoins.


Sources

Statistiques OFS (2020)

https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/education-science/personnes-formation/degre-tertiaire-hautes-ecoles/situation-sociale-economique-etudiants.html

Enquête FORS (2015)

Enquête sur la conciliation des sphères de vie à l’UNIL: les études-la famille-le travail

https://unil.ch/familles/files/live/sites/familles/files/pdf/home/Rapp_Enquete_Conciliation.pdf

Lien SSP section étudiante “Conciliation études-famille”

​​https://vaud.ssp-vpod.ch/secteurs/etudiant-e-s/15-mars-table-ronde-concilier-etudes-et-famille/

Jacquet Manoë (2017) Stigmatisation de la maternité dans une société néolibérale. Entre représentations idéalisées et dévalorisation sociale: quel(s) choix pour les femmes ?

https://mmmfrance.org/wp-content/uploads/2018/09/Etude2017_StigmatisationdelaMaternit%C3%A9.pdf

En plus si besoin:

  • Les personnes avec une charge familiale demandent une prise en considération des obstacles parfois insurmontables qui les concernent pour mener à bien leurs études. Elles demandent le dépassement des résistances académiques et une réflexion approfondie sur leurs conditions d’études particulières afin d’aller jusqu’au bout de cette notion d’égalité d’accès à la formation. Une prise en considération de leurs statuts de femme et de mères dans les plans d’actions pour l’égalité avec l’expansion des mesures de conciliation famille-travail à leurs statuts d’étudiants ainsi que des droits acquis au niveau académique. Enfin, à un niveau macro; elles demandent l’octroi de ressources financières suffisantes et un calcul indépendant d’une tierce personne accompagnée de l’élargissement de l’accueil de jour de l’enfance.
  • Elles en ont assez d’entendre que la réalisation de leurs projets dépend des ressources de leurs conjoints ou de leurs familles (parfois même à un âge avancé) comme c’est actuellement le cas pour le calcul des bourses d’études.
  • Idée originale : la mise en place d’une halte-garderie pour accueillir les enfants d’étudiant.e.x pour que celles-ci puissent également bénéficier d’assez de temps pour travailler, socialiser : très important dans la constitution d’un réseau pour le futur vie professionnelle et participer aux événements scientifiques et associatifs des centres de formations. Parce que les études ne se réduisent pas à la présence en cours et en formation.

Cela éviterait de à certaines étudiant.e.x de se voir obliger de prendre son enfant en cours de psychologie XXX lors de la fermeture de centre d’accueil parascolaire lors des vacances de pâques


Citations de mères

"J'ai du déménager dans une autre commune pour que ma fille aient accès à une place d'accueil en UAPE, sans ça c'était impossible de commencer mes études en étant maman seule"

J.

"Avec ce système de bourse qui prend en compte les revenus de mon copains, j'ai parfois l'impression de devoir lui demander de l'argent de poche. C'est complétement humiliant."

S.

"J'ai raté un cours pour des raisons familiales, j'ai des jumeaux et je fais des études à plein-temps. J'ai demandé à mon professeur d'avoir accès au cours enregistré pendant le COVID. Il me l'a refusé."

A.

"Moi j'ai encore de la chance, ma mère est venue vivre chez moi pendant le temps de mes études. Elle m'aide pour garder mon fils et dans les tâches domestiques". Sans ça, je ne pourrai pas réussir. On voit encore à quel point les femmes, les grand-mères permet de combler un manque d'aide."

M.

"C'est dur, je manque pleins de moments de vie de mon fils. Je ne suis pas là le week-end, ni le matin quand il se lève. Mais je lui repète que je fais ça pour nous, pour qu'on aient une meilleure vie les deux. “

M.

"Quand on est mère et étudiante, il faut complétement se détacher de la norme de la "bonne mère" sinon on ne tient pas et on se fait manger par la culpabilité"

S.

"Moi j'ai décidé de rendre un dossier de groupe seule, après trois rendez-vous manqués, je me suis rendue compte que c'était impossible de travailler avec des étudiant.e.s qui n'ont pas la même réalité, qui ont un temps extensible. Pour moi chaque minutes est comptées, je ne connais plus la procrastination."1

A.