Une CCT pour les enseignant·es de musique, enfin!

Après plus de dix-neuf ans de négociations et de revirements patronaux, les enseignant·es de musique du canton de Vaud sont parvenu·es à conclure une CCT. Entretien avec Lorris Sevhonkian, pianiste et président de l’AVEM-SSP (Association vaudoise des enseignant·es de musique-SSP).

Manifestation en 2012 en faveur d'une Convention collective de travail pour les écoles de musique Valdemar Verissimo

Une convention collective est entrée en vigueur le 1er janvier dernier après de nombreuses années de négociations. Pouvez-vous nous retracer les principales étapes qui ont mené à ce résultat?

Lorris Sevhonkian – Pour expliquer la naissance de la CCT, il faut remonter en 2005, donc même avant la Loi sur les écoles de musique (entrée en vigueur en 2011). On était alors dans une situation extrêmement disparate et inégale à travers le canton pour les enseignant·es de musique, avec des salaires en général très bas (2500 francs par mois dans les cas les plus graves), à part dans trois écoles qui tiraient leur épingle du jeu. Sinon, les enseignant·es de musique actifs-ves dans les autres écoles se trouvaient dans des situations très difficiles et il était parfois impossible de survivre même avec un salaire à temps plein, surtout dans les régions comme la Broye, la vallée de Joux et le Pays-d’Enhaut. Leurs salaires ne permettaient pas aux collègues de cotiser au deuxième pilier. Il fallait donc vraiment agir pour améliorer les conditions de travail et élargir le débat sur le plan cantonal.

C’est une rencontre en 2005 avec la conseillère d’État Anne-Catherine Lyon, qui voulait promulguer une loi cantonale et installer une CCT, qui a lancé le processus. On a débuté par un travail de lobbying auprès des parlementaires en fa-
veur de la loi. Laquelle a permis d’améliorer les choses sur le plan salarial puisque les salaires ont été multipliés par 3 pour certain·es, mais sur une durée excessive de six ans! Sans oublier deux interruptions qui ont allongé le rattrapage d’autant!

La loi est donc entrée en vigueur en 2011, mais les travaux CCT avançaient au ralenti. Une première mouture a tout de même été mise sur pied en 2011. Elle a été refusée par les employeurs, on a donc dû retourner à la table des négociations pour élaborer une nouvelle version (en 2014), qui a de nouveau été rejetée par les employeurs pour des raisons financières. Après une pause de deux ans, on a repris les discussions pour aboutir au texte qui vient d’entrer en vigueur. Par rapport aux versions précédentes, il y a bien eu de petites concessions qui ont été faites, mais on a pu sauvegarder les points essentiels.

Un processus aussi long implique beaucoup de détermination pour les représentant·es des salarié·es.

J’avais beaucoup de pression au début, j’ai cru que j’allais être licencié. Puis ça s’est arrêté, notamment parce que j’ai créé très vite un réseau politique et médiatique solide. Bon nombre de collègues ont rejoint le syndicat, ce qui nous a rendu·es plus fort·es. Il faut aussi relever qu’on a organisé des actions de rue à deux reprises, ce qui n’est pas franchement habituel dans notre métier, encore moins en Suisse! La mise sur pied de la CCT contribue maintenant à intéresser plusieurs collègues au syndicat, avec une meilleure parité hommes-femmes, ce qui est très positif et me réjouis beaucoup.

Quels sont les éléments les plus importants de cette CCT?

Elle met d’abord un terme aux inégalités entre établissements et garantit une unité contractuelle. Ensuite, on a une protection importante pour laquelle on a beaucoup bataillé et qui est à ma connaissance unique dans notre métier, c’est la garantie du taux d’activité de 100% pour l’année en cours et de 90% pour l’année suivante (année scolaire). Auparavant, il pouvait y avoir de grosses variations tous les semestres; une incertitude qui nous donnait des maux de ventre et nous empêchait de planifier nos vies. Un autre point essentiel au niveau de la protection sociale est le fait qu’il n’y a pas de déduction de coordination dans le deuxième pilier. Enfin, la garantie de la compensation de l’inflation est un acquis précieux dans cette période.

Quels sont les enjeux futurs autour de cette CCT?

Il y a tout d’abord la question salariale, car il manque environ 10% par rapport à notre objectif initial (soit être situé dans les classes 18 à 22 de l’État de Vaud). Cet élément est rendu plus compliqué car la partie employeur n’est pas seule en cause puisqu’elle dépend des subventions et des écolages, qui sont déjà trop élevés. Pour éviter de les augmenter encore, il est vital d’obtenir des financements supplémentaires de la part de l’État. Tou-te-s les partenaires concerné·es doivent faire comprendre aux décideurs-euses politiques que l’augmentation de la démographie implique l’augmentation des besoins sociaux et éducatifs. La commission paritaire qui se met en place dans le cadre de la CCT sera un organe de recours en cas de désaccords et de non-respect de la CCT, mais, à mon avis, il faut également qu’elle joue un rôle actif dans la protection et la promotion de notre métier.
Il reste un élément très important qui n’est pas traité dans la CCT et qui concerne la partie non subventionnée de notre travail, soit les élèves âgé·es de plus de 25 ans. Vu le coût des écolages (pratiquement le double de l’écolage subventionné), il arrive fréquemment qu’ils-elles quittent le monde de la musique et c’est regrettable. Pour les garder, les écoles proposent des solutions en ordre dispersé et peu satisfaisantes qui vont de l’espacement des cours à la fixation de salaires différenciés pour les enseignant·es. L’intégration de cette problématique dans les discussions conventionnelles futures est à mon sens décisive pour favoriser la démocratisation de la pratique de la musique et garder un profil d’élèves très fidèles et impliqué·es dans le tissu culturel plus large du canton.

Interview parue dans notre journal Services Publics, n° 5, 29 avril 2024