Fact-checking: les contrevérités du gouvernement Luisier

Les syndicats SSP, FSF et SUD reviennent point par point sur les affirmations erronées du Gouvernement Luisier dans le cadre de la mobilisation des services publics et parapublics vaudois.

Photo: Valdemar Verissimo

À la suite de la journée de grève et de mobilisation massive des salarié·e·s des services publics et parapublics vaudois du lundi 23 janvier, la Présidente du gouvernement vaudois, Christelle Luisier, a exprimé l’appréciation de la situation du Conseil d’Etat.

Le Conseil d'Etat a choisi de ne pas consulter les organisations syndicales et de fixer un taux d'indexation de 1,4 % qui est largement plus bas que les taux adoptés par l'écrasante majorité des autres cantons.

S'il est évident qu'un débat démocratique doit avoir lieu, rien n'autorise Mme Luisier et le Conseil d'Etat à transformer la réalité. Nous ne laisserons pas la communication de faits erronés semer le doute sur la réalité de la politique de dévalorisation du travail des salarié·e·s du service public mise en œuvre par le Gouvernement Luisier.

Nous nous permettons ainsi, dans les lignes qui suivent, de rétablir quelques simples faits.

  1. Le Gouvernement Luisier affirme octroyer 182 millions pour l’indexation des salaires et des régimes sociaux.

Ce chiffre de 182 millions est obtenu par addition de dépenses qui n’ont ni la même origine, ni le même statut, ni le même but. La possibilité même de faire une telle addition résulte de nombreuses confusions dans le but de faire gonfler artificiellement un chiffre et de donner une fausse image de générosité.

Faux 1 : l’indexation n’a rien à voir avec les « annuités » : les 53 millions d’annuités ne peuvent donc pas être additionnés aux 104 millions de l’indexation. La progression salariale garantie par les annuités à l’Etat de Vaud est un droit reconnu et réglementé qui s’explique notamment par : la reconnaissance de l’expérience acquise via la pratique professionnelle, le fait de ne pas pouvoir négocier son salaire et la difficile mobilité du personnel des services publics.

L’indexation, de son côté, est une compensation mathématique de l’augmentation du coût de la vie : elle a donc simplement pour but de conserver la valeur du travail des salarié·e·s du service public.

Si l’une et l’autre mesure se traduisent par une augmentation du montant du salaire, elles n’ont strictement rien à voir. Ne serait-ce que parce que l’annuité a pour but de reconnaître l’accroissement de la valeur du travail, tandis que l’indexation pleine permet de conserver la valeur dudit travail.

De plus, ces deux mesures dépendent de dispositifs légaux distincts et si le gouvernement Luisier a tout le loisir de ne pas accorder d’indexation, il n’en va pas de même des annuités, qui constituent un droit.

En outre, il faut noter qu’un certain nombre de salarié·e·s ne bénéficent plus des annuités car ils ont atteint le dernier échelon de leur classe.

Enfin, nous ne savons pas comment ce chiffre de 53 millions du coût des annuités est calculé. En effet, si la progression des annuités implique des dépenses supplémentaires, le tournus des départs à la retraite compensés par des engagements de salarié·e·s émargeant à des échelons plus bas implique des formes d’équilibrage dont on ne sait pas s’ils sont pris en compte dans les 53 millions.

Faux 2: contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement Luisier, les taux d’indexation annoncés par la plupart des autres collectivités publiques (qui sont en majorité supérieurs à celui de l’Etat de Vaud), ne comprennent pas les annuités (voir notamment le graphique du Temps du 25 janvier : https://www.letemps.ch/economie/face-linflation-cantons-plus-genereux-entreprises).

Ainsi la majorité des autorités des autres cantons n’assimilent pas fallacieusement annuités et indexation, contrairement au Gouvernement Luisier.

Faux 3 : la prime « vie chère » n’est pas une indexation (d’où son nom…). De fait, par sa nature de prime, elle se distingue de l’indexation. Elle ne sera octroyée qu’une seule fois, en 2023, et n’est ainsi pas intégrée pleinement au salaire. Elle ne touchera même pas l’ensemble des personnes qui pourraient y prétendre au vu de la hauteur de leur salaire (voir plus bas).

Les 15 millions de la prime « vie chère » ne peuvent donc pas être additionnés aux 104 millions de l’indexation.

Faux 4 : la hausse du barème des régimes sociaux est une nécessité absolue au vu des situations dramatiques des personnes qui y ont recours. Toutefois, il s’agit de prestations sociales qui n’ont strictement rien à voir avec l’indexation des salaires des salarié·e·s des services publics et parapublics. Les 10 millions d’augmentation ne peuvent donc pas être additionnés aux 104 millions d’indexation.

  1. Le Gouvernement Luisier affirme que 2,2% constitue la « pleine indexation ».

Faux 5 : le chiffre de 2,2% ne correspond à aucune « pleine indexation ».

Pour rappel, une « pleine indexation » constitue la compensation totale du renchérissement du coût de la vie.

L’indice de référence légal selon la LPers est l’IPC d’octobre de chaque année, indice produit par l’Office fédéral de la statistique. Celui-ci fixe le taux d’inflation à 3% pour octobre 2022. C’est ce taux qui constitue de fait une « pleine indexation ».

Notons au passage que l’IPC ne comprend pas l’évolution des coûts d’un certain nombre de biens comme celle de l’assurance-maladie. Si bien que des indices alternatifs, comme celui de l’Union Syndicale Suisse, évalue l’indexation nécessaire à 5%.

Quant au 2,2% articulé comme « pleine indexation » par le Gouvernement Luisier, il représente le résultat de la soustraction opérée par le Décret de 2013 sur la CPEV (110.18 points) au taux légal d’indexation auquel fait référence la LPers (IPC d’octobre : 3%, équivalent en points à 112,6 points).

Le fameux 2,2 % étant le résultat du calcul suivant :

((112.6 / 110.18) * 100) – 100 = 2,198 (merci au Conseil d’Etat pour l’arrondi en faveur des salarié-e-s)

  1. Le Gouvernement Luisier affirme que tou-te-s les salarié-e-s des classes 1 à 10 bénéficient de 2,2% d’indexation grâce à la prime « vie chère » de 0,8%.

Faux 6 : la prime « vie chère » sera calculée au prorata du temps de travail de l’année 2022, donc pour bénéficier de l’équivalent en 2023 d’une indexation de 0,8%, il faudra avoir travaillé toute l’année 2022 au même taux qu’en 2023. Toute personne engagée en cours de 2022 ou ayant augmenté son taux de travail en 2023 ne touchera qu’une partie de l’équivalent d’une indexation de 0,8%. Toute personne engagée en 2023 n’en touchera rien. De même qu’une personne qui aurait quitté l’Etat en 2022.

Faux 7 : la prime « vie chère » ne sera accordée qu’aux salarié·e·s inclus-es dans le périmètre « administration cantonale » et CHUV. Cela implique que les salarié·e·s des classes 1 à 10 (ou qui ont un salaire équivalent mais ressortent d’un autre système salarial) des institutions de l’Etat de Vaud qui bénéficient d’un statut d’autonomie budgétaire (notamment HES vaudoises, HEP, UNIL) ne sont pas inclus-es dans le périmètre et ne toucheront pas la prime « vie chère ».

Il en va de même de tou-te-s les salarié·e·s des secteurs parapublics qui, à niveau salarial équivalent aux classes 1 à 10 de l’Etat de Vaud ne verront pas le moindre centime de la prime « vie chère ». Cette exclusion est particulièrement inacceptable dans un contexte où les salarié-e-s des hôpitaux régionaux, des EMS, des soins à domicile et des institutions sociales du canton touchent déjà des salaires inférieurs au secteur public et sont d’autant plus touchés par l’augmentation du coût de la vie.

  1. Le Gouvernement Luisier affirme que la prime concerne tous les salaires jusqu’à 116'000.-.

Faux 8 : une grande partie des salarié·e·s des classes 11 et suivantes gagnent moins de 116'000.- par le simple effet que les salaires de départ sont largement inférieurs à ce montant. Par exemple, le montant de l’échelon 0 de la classe 11 est de 88'394.- (et donc largement inférieur à 116'000.-).

  1. Le Gouvernement Luisier affirme que la recapitalisation de la caisse de pensions en 2013 a été financée exclusivement par l’Etat.

Faux 9 : le financement a été assuré de manière partagée entre État et personnel (+1% de cotisation pour les salarié·e·s, report de l’âge de la retraite de deux ans et péjoration du calcul du montant des rentes avec la prise en compte de 12 salaires annuels). À noter que l’essentiel du projet visait à satisfaire à une modification du taux de couverture imposé par la législation fédérale (minimum de 80%). Or, cette mesure technique est coûteuse et sans aucun effet positif pour le personnel. Le décret de recapitalisation qui prescrit le retranchement de 0,8% de l’indexation – et utilisé cette année par le Conseil d’Etat – est une décision unilatérale ajoutée par le Conseil d’Etat au projet de décret présenté au Grand Conseil, qui n’a été approuvée par aucun syndicat.

  1. Le Gouvernement Luisier affirme que le Grand Conseil a avalisé l’indexation.

Faux 10 : la loi donne au Conseil d’Etat (et non au Grand Conseil) la compétence de fixer le taux d’indexation. Certes, le montant prévu au budget 2023 permet seulement une indexation de 1,4%. Mais c’est omettre qu’un montant permettant une indexation à 2,2% à l’Etat et dans le secteur parapublic a été inscrit dans l’annexe des risques. Comme confirmé par la Conseillère d’Etat Valérie Dittli le 14 décembre en séance du parlement (les séances sont filmées pour celles/ceux que cela intéresse), ce montant s’élève à 77 millions. La Loi sur les finances prévoit la possibilité pour le Conseil d’Etat d’activer ces risques via une demande de crédit supplémentaire auprès de la Commission des finances, et ce à tout moment. Cette possibilité a été utilisée à 72 reprises en 2021 (Rapport sur les comptes 2021, p.17). C’est donc une procédure usuelle et très simple qui est utilisée pour de nombreuses politiques publiques, par exemple pour tenir compte de l’augmentation des primes maladie, augmentation inconnue au moment de l’élaboration du budget autour du mois de juin, financer l’accueil des personnes réfugiées en nombre supérieur à ce qui a été prévu au budget ou encore permettre l’ouverture de nouvelles classes à chaque rentrée scolaire.

  1. Le Gouvernement Luisier affirme que le Conseil d’Etat a travaillé dans un esprit de dialogue.

Faux 11 : du moment que le Conseil d’Etat, contrairement à l’usage, refuse l’ouverture de négociations, il ne peut pas se prévaloir d’un esprit de dialogue. Par ailleurs, le document transmis lors de la séance de présentation aux syndicats le 8 décembre indique que cette unique réunion qui a duré environ 90 minutes (présentations comprises) est une « séance d’échange » et qu’elle n’a « pas d’objectif de négociation et d’obtenir un accord ». L’envoi d’un communiqué de presse quelques minutes après avoir informé les syndicats confirme que tout ce processus était unilatéral. En ce sens, cela n’était pas une « consultation » ni même un « échange » mais une simple séance d’information visant à transmettre un message aux syndicats quelques minutes avant de le transmettre à la presse.

  1. En sus de ses affirmations erronées sur la question de l’indexation, le Gouvernement Luisier avance plusieurs initiatives qu’elle entend comprendre dans une appréciation « globale » de la situation. Qu’en est-il ?

L’indexation de 2,5% des régimes sociaux : si on la mesure à l’aune de l’inflation déterminée par l’IPC (3%), force est de constater qu’il s’agit d’une baisse réelle desdits régimes. Il ne nous semble pas que l’on puisse en tirer satisfaction. Ce montant de 2,5% revient à appliquer les recommandations de la CSIAS qui est l’organe de référence dans le domaine. Le chiffre est calqué sur l’augmentation des rentes AVS, or celle-ci est notoirement insuffisante. De fait, cette mesure appauvrit les couches sociales les plus défavorisées.

La revalorisation du secteur parapublic vaudois : ce secteur, particulièrement mis à contribution, notamment par les années de pandémie, est loin de constituer une préoccupation d’investissement du canton. Les syndicats revendiquent de longue date des améliorations des conditions de travail dans ce secteur et en particulier une augmentation des salaires au niveau de ceux de l’Etat. Or, le compte est très loin d’y être car les salaires pratiqués sont volontairement maintenus à un niveau largement inférieur à ceux du public. Indexer les salaires de seulement 1.4% et exclure de fait les salarié-e-s déjà les moins bien payé·e·s de la prime vie-chère est donc particulièrement inique de la part du gouvernement Luisier et contradictoire avec sa prétendue préoccupation pour ce secteur.

Les effets d’annonce du Gouvernement Luisier concernant le secteur parapublic se heurtent à une réalité toute autre : depuis deux ans, les demandes de financements complémentaires transmises à la Conseillère d’Etat en charge du DSAS Rebecca Ruiz par la commission paritaire de la CCT du secteur sanitaire parapublic vaudois pour continuer à revaloriser, par étape, les salaires de la santé parapublique vaudoise ont été tour à tour refusées.

La lutte contre le mobbing et le harcèlement, l’égalité ainsi que la protection des lanceurs d’alerte : sur ces points, il est pour le moins exagéré de considérer que le Gouvernement Luisier agit.

Le dispositif de lutte contre le harcèlement à l’Etat de Vaud est au point mort depuis le constat des dysfonctionnements du Groupe Impact au mois de novembre 2021. Les nombreuses demandes des syndicats pour l’ouverture de négociations sur l’après-Impact n’ont reçues aucune réponse à ce jour.

De la même manière, les revendications portées par les syndicalistes féministes dans le cadre de la grève féministe du 14 juin 2019 auprès du Conseil d’Etat n’ont reçu aucun écho.

Le gouvernement Luisier a décidé de dévaloriser le travail des salarié·e·s des services publics et parapublics du canton de Vaud alors même que la loi lui permettait d’en faire autrement et qu’il avait les moyens de permettre à ses salarié·e·s de conserver leur pouvoir d’achat.

Tous les tours de passe-passe et additions de pommes, poires et clés à molette n’y feront rien : le taux d’indexation proposé est de 1,4% alors que l’USS avance le chiffre de 5% pour conserver le pouvoir d’achat, que l’IPC Suisse de référence articule à 3% (pour rappel, il n’intègre ni l’augmentation de l’assurance maladie, ni celle du coût de l’énergie) et que la plupart des cantons (pourtant bien moins « riches » que Vaud) offrent des taux supérieurs voir largement supérieurs.

Au lieu de tenter de semer la confusion, le gouvernement Luisier devrait assumer ses choix politiques afin qu’un vrai débat s’ouvre.

Le choix du gouvernement Luisier est une déclaration politique : le service public n’est pas sa priorité. C’est un choix que nous refusons et contre lequel nous allons lutter.