La recherche est une activité collective, elle se fait au sein et avec des équipes dans lesquelles se trouvent des personnes à différentes étapes de leur carrière, disposant d’expériences variées et occupant des fonctions diverses. En respectant un certain nombre de principes, il est tout à fait possible de conduire de telles équipes dans de bonnes conditions, qui permettent de poursuivre des recherches et de délivrer des enseignements de meilleure qualité, mais aussi de gérer correctement les problèmes lorsqu’ils apparaissent.
Une approche syndicale des fonctions hiérarchiques dans le domaine des Hautes Écoles doit aussi être pensée et conduite collectivement. Les collègues syndiqué·es et le secrétariat du SSP sont en tout temps à disposition pour discuter de ces questions, vous conseiller ou imaginer ensemble des solutions dans des situations délicates.
Les 10 commandements d’un bon encadrement
- Tu ne nieras pas les hiérarchies qui te privilégient.
- Tu ne tenteras pas d’échapper aux responsabilités qui accompagnent les fonctions hiérarchiques.
- Tu ne contesteras pas la légitimité des conflits sur ton lieu de travail.
- Tu informeras les membres de ton équipe de leurs droits.
- Tu chercheras à donner du pouvoir à tes subordonné·es.
- Tu respecteras le temps de travail et de repos.
- Tu ne feras pas de réunions sans ordre du jour.
- Tu t’assureras que chacun·e sache ce qu’il ou elle doit faire dans une recherche collective.
- Tu signaleras les comportements inadéquats dont tu es témoin.
- Dans un poste de direction, tu consulteras les organisations syndicales et les associations du personnel avant de prendre une décision.
1. Ne pas nier les hiérarchies
Feindre l’égalité là où elle n’existe pas est la meilleure manière de provoquer des problèmes. Les Hautes Écoles sont des institutions hiérarchiques, et on n’échappe pas à cette réalité en prétendant établir des relations égalitaires avec ses subordonné·es. La signature des contrats, les décisions liées aux enseignements, aux périodes de travail ou à la soutenance d’une thèse ne sont pas effectuées horizontalement, et si des divergences apparaissent, ces relations hiérarchiques seront immédiatement rappelées par l’institution elle-même.
Aux côtés des hiérarchies formalisées dans des règlements et directives, il existe également quantité de hiérarchies informelles dans les Hautes Écoles : entre direction de thèse et doctorant·es, entre chercheurs·euses avancé·es et débutant·es, entre personnes de statuts différents, entre membres d’un comité de rédaction d’une revue et collègues qui souhaitent y publier, entre corps enseignant et membres du PAT (personnel administratif et technique), etc. Ces hiérarchies ne seront pas supprimées par le simple souhait de la personne qui en bénéficie. Reconnaître leur existence est à l’inverse un moyen plus sûr pour en atténuer les effets.
Dans ces situations asymétriques, des comportements ou des remarques qui paraîtraient anodins, et pour certains le seraient, dans des rapports horizontaux prennent un tout autre sens. C’est le rôle d’un·e supérieur·e hiérarchique d’y porter la plus grande attention.
2. Les fonctions hiérarchiques s’accompagnent de responsabilités accrues
La tâche d’un·e supérieur·e hiérarchique ne se limite pas à prendre des décisions ou donner des ordres, elle est avant tout une prise de responsabilité. Cette responsabilité est la seule justification des différences de pouvoir (et de rémunération) entre les salarié·es.
Il ou elle doit s’assurer que de bonnes conditions de travail sont garanties pour toutes les personnes sous sa responsabilité, que les relations avec d’autres membres de la communauté universitaire (et en particulier des personnes occupant des postes hiérarchiquement plus élevés) sont respectueuses. Il ou elle est responsable de traiter personnellement d’éventuels problèmes, concernant des membres de son équipe ou des personnes qui lui sont extérieures, dès qu’ils parviennent à sa connaissance.
C’est le rôle des supérieur·es hiérarchiques d’assumer un rôle de formation à l’égard de leurs subordonné·es, en leur indiquant lorsque leurs actions ou leurs paroles ont été inadéquates, et les manières d’éviter que cela se répète. Dans un premier temps, c’est donc à l’intérieur de l’équipe que ces problèmes doivent être réglés lorsqu’ils surgissent pour la première fois.
Occuper une fonction hiérarchique demande du temps. À l’inverse, si cela en fait gagner, c’est que la fonction en question est utilisée à mauvais escient puisque cela signifie que l’on exploite le travail de quelqu’un·e d’autre (en faisant relire des manuscrits, en demandant de mettre à jour une bibliographie ou de faire une traduction, en se faisant remplacer pour des heures d’enseignement, en envoyant quelqu’un·e chercher un livre à la bibliothèque, etc.).
3. Les intérêts des un·es et des autres ne sont pas toujours identiques, il est donc légitime que des divergences apparaissent
Contrairement à ce qui se passe dans une entreprise privée, assumer une fonction hiérarchique dans un service public ne contraint pas à exploiter ses subordonné·es. Si les moyens nécessaires pour remplir les tâches qui leur sont assignées sont insuffisants, ce n’est pas en leur demandant de fournir davantage de travail que le problème doit être résolu, mais en demandant des moyens supplémentaires aux instances compétentes, ou en limitant la quantité de travail si ces moyens ne sont pas alloués. Cependant, aussi correct que soit l’exercice de cette fonction, l’asymétrie qui l’accompagne suppose que les intérêts des un·es et des autres ne sont pas toujours identiques. Le nier est, encore une fois, la meilleure manière de faire apparaître des conflits et de les envenimer.
Il faut donc dès le départ anticiper la survenue de ces conflits et prévoir avec ses subordonné·es des moyens pour les prévenir et les traiter lorsqu’ils apparaîtront. Cela suppose au minimum de prévoir des lieux et des moments réguliers qui permettent d’exprimer des doléances, de part et d’autre.
Cette situation ne permet pas de régler tous les problèmes, car ceux-ci peuvent être d’une gravité qui requiert l’intervention de tiers. Il est donc indispensable d’indiquer à tou·tes ses subordonné·es, dès leur engagement, toutes les ressources nécessaires à leur disposition en cas de conflit.
4. Un·e subordonné·e protégé·e est un·e subordonné·e informé·e et autonome
La hiérarchie n’est pas une tyrannie, elle doit s’exercer selon des règles. Au-delà des informations liées au traitement des conflits de travail, il est indispensable de signaler, dès l’engagement, non seulement tous les textes légaux auxquels les salarié·es de l’institution sont soumis, mais aussi les pratiques et usages, y compris informels ou non écrits, qui ont cours dans le laboratoire, l’institut, la faculté, etc.
Par ailleurs, promettre des postes ou des morceaux de postes futurs à ses subordonné·es ne fait pas partie d’une gestion souhaitable des relations hiérarchiques au sein des hautes écoles. Elles ne font que renforcer cette hiérarchie informelle et rend le ou la subordonné·e totalement dépendant·e de son ou sa supérieur·e. L’objectif consiste à rendre les parcours de carrière aussi clairs que possibles, en offrant des postes stables aussi vite que possible, en faisant des mises au concours transparentes et en organisant des discussions collectives à leur propos.
La structure des postes étant celle qu’on connaît, tout le monde est contraint de bricoler pour obtenir des financements pour des doctorant·es ou des post-docs précaires, mais il faut éviter d’une part que ces bricolages deviennent un outil supplémentaire de pouvoir, et s’engager d’autre part, lorsqu’on occupe un poste stable, à changer cette structure pour que ces bricolages ne demeurent pas la norme.
5. Un·e subordonné·e protégé·e est un·e subordonné·e qui s’engage dans des collectifs
Il est de la responsabilité politique d’un·e supérieur·e hiérarchique membre d’un syndicat d’inciter les membres de son équipe à se syndiquer et à participer aux activités des différents collectifs défendant les intérêts des salarié·es (associations du corps intermédiaire, commission du personnel, instances décisionnelles ou consultatives de la Haute École, etc.).
Cette participation permet de limiter le déséquilibre d’informations et, pour les subordonné·es, de prendre part à des organisations propres à défendre leurs intérêts personnels et collectifs.
Il est important de signaler qu’en cas de conflit entre membres du même syndicat, les instances de ce dernier défendront toujours la partie faible.
Occuper une fonction hiérarchique tout en étant membre d’un syndicat, c’est constamment chercher à donner du pouvoir à ses subordonné·es.
6. La formalisation des rapports de travail protège tout le monde
C’est bien souvent dans les méandres de l’informalité que surgissent les conflits de travail. Il est donc indispensable dès le départ de formaliser les rapports de travail. Cela concerne en particulier les éléments suivants : temps de travail, temps de présence sur site, organisation des vacances, compensation des heures supplémentaires (par exemple pour des colloques), congés, etc.
Il est hors de question de communiquer avec ses subordonné·es pendant les vacances, le week-end, le soir ou la nuit, par quelque canal que ce soit. C’est la responsabilité des supérieur·es hiérarchiques de montrer l’exemple à cet égard en s’interdisant de le faire, ou, si ça devait exceptionnellement arriver, en en expliquant la raison et en précisant qu’on n’attend pas de réponse avant la reprise du travail. Les supérieur·es hiérarchiques sont responsables d’organiser le travail de leur équipe afin que cela ne se produise pas (un·e chef·fe qui envoie des courriels en pleine nuit n’est pas un·e travailleur·euse acharné·e, c’est un·e incompétent·e qui ne devrait pas avoir de personnes sous ses ordres).
Les réunions d’équipe doivent être convoquées avec un délai raisonnable, en accord avec toutes les personnes concernées, suivre un ordre du jour envoyé à l’avance, respecter une durée préalablement fixée et faire l’objet d’un procès-verbal qui précise en particulier les tâches de chacun·e. Toute discussion importante avec un·e subordonné·e doit aussi faire l’objet d’une annonce préalable du moment et de l’objet de la discussion (en particulier pour qu’il ou elle puisse se faire accompagner, ce qui est un droit qui ne souffre aucune exception).
Des entretiens annuels doivent en principe être conduits individuellement avec chaque membre de l’équipe, entretiens servant à la fois à faire un bilan de l’année écoulée et à fixer des objectifs pour l’année à venir. Ils sont aussi l’occasion de rediscuter des cahiers des charges (qui doivent toujours être négociés avec les salarié·es).
7. Le travail de recherche
La responsabilité d’un·e supérieur·e hiérarchique dans le domaine de la recherche est de donner de son temps, de partager ses connaissances et son réseau, de transmettre les ficelles du métier aux personnes qu’il ou elle supervise. Une relation de formation à la recherche – par exemple dans le cadre d’une direction de thèse – prend forcément du temps.
Il faut redoubler d’attention pour éviter tout pillage du travail de ses subordonné·es, pillage qui peut aussi être involontaire. Toute signature sur un travail de recherche sans contribution substantielle à la recherche (l’obtention de fonds servant à la financer n’en fait pas partie…) est à proscrire absolument.
Le travail de recherche collectif doit être soigneusement préparé, afin que chacun·e sache ce qu’on attend de lui ou elle, dans quel délai, quelles ressources seront mises à sa disposition, lesquelles resteront disponibles une fois la recherche achevée, etc. La responsabilité de l’organisation de ce travail incombe à la ou au supérieur·e hiérarchique, mais le résultat du travail ne lui appartient pas.
Fondamentalement, l’objectif est de former des enseignant·es-chercheurs·euses autonomes, pas des disciples qui seraient redevables ou des mandarins en devenir.
8. Un·e supérieur·e hiérarchique membre du SSP engage tout le syndicat par ses actes
Si toute violation des règles de fonctionnement des institutions d’éducation supérieure doit être condamnée, les membres du SSP qui occupent des fonctions hiérarchiques ont une double responsabilité à cet égard, car, en plus de leur personne, ils et elles engagent l’ensemble du syndicat. Un conflit de travail impliquant un·e membre est une atteinte contre le travail collectif réalisé par nos membres et nos secrétaires.
Comme personne exerçant des responsabilités et comme membre du SSP, il existe par ailleurs une responsabilité accrue d’intervenir lorsqu’on est témoin d’actes, de comportements ou de remarques inadéquats, soit immédiatement auprès de la personne qui en est l’autrice, soit auprès des instances idoines si le problème est plus grave.
9. Fonctions dirigeantes
Les points ci-dessus concernent surtout les équipes de recherche, laboratoires, etc. Des fonctions plus élevées comme les directions d’institut, décanats, ou directions d’institutions ajoutent d’autres responsabilités si l’on est membre du SSP.
La première d’entre elle est de renforcer les organisations représentatives du personnel, en les consultant systématiquement pour toute réforme ou décision importante et en institutionalisant cette pratique.
La deuxième est de s’informer des positions défendues par le SSP aux niveaux régional et national et de les défendre dans la position qu’on occupe.
Enfin, la dernière est de se rappeler que les intérêts d’une direction (d’un institut, d’une faculté, d’une école) ne sont pas les mêmes que ceux des salarié·es, et que tout·e militant·e syndical·e qu’on ait pu être par le passé, on sera contraint·e dans de telles fonctions de mettre en œuvre des politiques contraires aux principes défendus par le syndicat. Prétendre le contraire rend l’exercice de ce pouvoir particulièrement pénible pour les salarié·es.