Cette affaire renvoie à plusieurs problèmes fondamentaux qui concernent en réalité tou·te·s les salarié·e·s de l’Unil.
Le droit de travailler
Le Prof. Daher enseigne depuis plusieurs années à la Faculté des SSP de l’Unil. Alors qu’il devait enseigner au prochain semestre – comme le signalait le site internet de l’Unil (voir captures d’écran en annexe) – un cours pour lequel il avait reçu un cahier des charges en mai 2024 et que son engagement était depuis longtemps validé par la Faculté, la Direction de l’Unil affirme que son annonce du 30 janvier est un simple «non-renouvellement». Elle se cache derrière le fait qu’elle n’a « établi aucun contrat de travail allant au-delà du 31 janvier ». (courrier du 30 janvier).
Le raisonnement de la direction de l’Unil ne résiste pas à l’analyse. Alors que le Prof. Daher enseigne depuis plus de quatre ans et demi sans interruption à l’Unil, la Direction prétend subitement et deux jours avant le début du semestre que cet enseignement a pris fin.
Cette stratégie équivaut à un vrai Berufsverbot car le jugement sans appel de l’Unil restera dans le dossier administratif du Prof. Daher et lui interdira de se faire engager à l’avenir.
Le droit de se défendre
Le vrai motif de cette argumentation de la direction de l’Unil est beaucoup plus problématique. Par les procédés qu’elle utilise pour «non renouveler» le contrat du Prof. Daher, la direction de l’Unil veut en réalité l’empêcher de se défendre de ce dont on l’accuse et tente maladroitement d’éviter d’avoir à justifier cette éviction.
En effet, d’un côté, la Direction a ouvert une enquête administrative, confiée à un mandataire externe, qui a conclu que le Prof. Daher serait coupable d’une infraction «moyennement grave à grave». De l’autre côté, une fois cette enquête close, la direction en endosse les conclusions mais décide… de ne pas décider :
« Ainsi, la Direction estime que vous avez, dans le cadre de votre activité en qualité de Professeur invité, violé vos devoirs légaux à l'égard de l'Université de Lausanne. Cela étant, en raison de l'échéance de votre contrat de travail et ce nonobstant de la gravité, il est renoncé à prononcer toute sanction disciplinaire. » (Courrier de l’Unil du 30 janvier 2025)
En renonçant à prendre une sanction disciplinaire, la direction de l’Unil veut simplement rendre impossible toute opposition formelle des conclusions de l’enquête de la part du Prof. Daher. Ce grossier déni de droit permet à la Direction d’affirmer la culpabilité du Prof. Daher sans risquer que cette affirmation soit soumise à l’analyse.
On notera au passage qu’il est pour le moins étrange de diligenter une enquête administrative pour affirmer deux jours après sa conclusion que celle-ci était inutile étant donné que la direction de l’Unil considère ne plus être en rapport contractuel avec le Prof. Daher.
Ce subterfuge cache (très mal) la vacuité du dossier et le fait que l’enquête a été menée totalement à charge. Il est en effet pour le moins disproportionné de conclure à une faute «moyennement grave à grave» pour le prêt d’une campus card. Ou alors, si c’est la nouvelle politique de la direction, une énorme vague de «non-renouvellement» va toucher l’Unil au vu des usages concernant les campus card.
En résumé, la conclusion de l’enquête étant totalement disproportionnée, la direction de l’Unil a tout intérêt à ne pas permettre au Prof. Daher de s’y opposer.
Le droit à une procédure claire
Pour justifier ce déni de droit, la direction se livre à des acrobaties procédurales inquiétantes. Une enquête administrative peut être ouverte lorsque l’employeur s’estime insuffisamment renseigné sur une question. Ainsi, la direction de l’Unil a ouvert, en octobre 2024, une enquête administrative pour savoir si le Prof. Daher avait prêté sa campus card et si cela constituait une violation des règlements auxquels personnel de l’Unil est soumis. On peut se demander pourquoi cette enquête a été confiée à un mandataire externe: les services de l’Unil ne seraient donc vraiment pas capables de demander à un employé s’il a prêté sa carte et de déterminer si et dans quelle mesure cela violerait les règlements de l’Unil?
Cette question est toutefois secondaire en regard du vrai problème qu’est le déni de droit. En effet, une fois les renseignements obtenus et l’enquête administrative terminée, la direction doit prendre une décision. Soit elle clôt le cas, soit elle estime que la faute mérite sanction et elle doit alors, selon la loi en vigueur, ouvrir une procédure d’avertissement qui prévoit que l’employé puisse se défendre. Rien de tout cela dans notre cas puisque la direction a décidé de ne rien décider formellement tout en décidant réellement que le Prof. Daher était coupable et de «non renouveler» son contrat.
Le droit de ne pas subir d’acharnement administratif
En plus de cette enquête administrative à laquelle le Prof. Daher s’est diligemment soumis malgré son caractère disproportionné, il faut également relever que la direction de l’Unil a procédé à un véritable acharnement administratif à son égard. Deux actions de la direction de l’Unil illustrent cela.
D’une part, le 6 novembre 2024, la direction de l’Unil a adressé un courrier comminatoire au Prof. Daher le sommant de se «déterminer» dans un délai de 10 jours sur le fait que :
«le Curriculum vitae transmis le 12 septembre 2024 ne reflétait pas la réalité actuelle et que la condition nécessaire à l’octroi du statut de “Professeur invité” au sein de l’Université de Lausanne n’est plus remplie».
Dans ce courrier hyper-formaliste et accusateur, la direction de l’Unil part du principe que le Prof. Daher a donné de fausses informations sur sa situation. Curieusement, la réponse du Prof. Daher, qui clarifiait la situation, n’a donné lieu à aucun retour de la direction, bien que celle-ci ait annoncé :
«A réception, la Direction examinera la situation et reviendra à vous concernant votre statut.»
Nous en avons donc déduit, par défaut, que la réponse du Prof. Daher avait satisfait la direction.
D’autre part, la direction de l’Unil a décidé, le 13 décembre 2024, d’étendre le mandat d’enquête administrative contre le Prof. Daher :
«en raison de nouvelles informations portées à sa connaissance» (courrier de l’Unil du 13 décembre)
Suite à une demande de sa part, l’Unil lui apprendra que ces «nouvelles informations» consistaient en une:
«interpellation d’une part d’un membre d’une autre haute école et, d’autre part, de la presse» (mail de l’Unil du 17 décembre 2024)
Interpellation au sujet d’un poste Facebook du Prof. Daher publié plus d’une année auparavant. La direction, sans daigner questionner directement le Prof. Daher, s’est empressée d’«étendre» l’enquête initiale en confiant le mandat suivant à l’avocat mandaté:
«Une publication (annexe 1) semble avoir été diffusée depuis et sur le compte Facebook de M. Jospeh Daher, en date du 26 décembre 2023 (la "publication"). La Direction souhaiterait que vous puissiez obtenir la confirmation de cette information et que, dans la mesure du possible, vous puissiez répondre à la question de savoir s'il appert que M. Joseph Daher a violé une (ou plusieurs) obligation(s) professionnelle(s) prévue(s) par son contrat de travail en diffusant cette publication.
Les éléments relatifs à cette extension de mandat peuvent être intégrés au rapport d'enquête pour lequel vous avez été mandaté en date du 4 octobre dernier et former un seul et même rapport.» (Courrier de l’Unil du 13 décembre)
Curieuse manière de procéder que d’«étendre» une enquête à un objet qui n’a à peu près rien à voir avec l’enquête initiale, sur la base d’une interpellation dont on ignore tout. À nouveau est-ce que les ressources humaines de l’Unil ne disposent pas des moyens de demander au Prof. Daher s’il est l’auteur de cette publication et de juger s'il viole ses obligations professionnelles?
Suite aux remarques faites par le Prof. Daher sur cette extension d’enquête, l’Unil a fini par y «renoncer» le 10 janvier et demande finalement à l’enquêteur de délivrer «dans les plus brefs délais» son rapport d’enquête sur l’«objet initial».
Selon nous cette manière de procéder est clairement disproportionnée et relève de l’acharnement administratif.
Le droit d’être protégé par son employeur
Lorsqu’elle a été interpellée par des journalistes qui décrivaient le Prof. Daher comme un «activiste», la direction de l’Unil a tout simplement refusé de répondre. Or, comme nous le lui l’avons signalé, ce silence contribue à la remise en cause des compétences professionnelles du Prof. Daher. La direction de l’Unil aurait dû au minimum rappeler l’expertise scientifique de M. Daher sur l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, en rappelant qu’il a soutenu deux thèses dont l’une délivrée par l’Unil, est auteur de nombreuses publications dans son domaine de compétence et enseigne de longue date à l’Unil. De ce point de vue, la direction de l’Unil a clairement failli dans son devoir de protection de la personnalité d’un collaborateur et a laissé s’opérer une campagne de dénigrement à son égard.
Ce silence de la direction de l’Unil est d’autant plus surprenant que celle-ci n’a, par ailleurs, pas hésité, suite à l’occupation, à dénoncer pénalement des dommages à la propriété et la publication d’une liste de professeur·e·s en lien avec des universités israéliennes. Une telle politique de protection de ses murs et d’une partie de son personnel devrait s’appliquer à tou·te·s ses employé·e·s, y compris le Prof. Daher. Force de constater que cela n’a pas été le cas et qu’il y a là deux poids deux mesures.
Non seulement la direction de l’Unil n’a pas défendu ses employé·e·s qui ont soutenu l’occupation, les laissant seuls face au dénigrement médiatique et au cyber-harcèlement, mais la direction a également entrepris de s’en prendre individuellement à certains employé·e·s, comme le Prof. Daher, en ouvrant des enquêtes administratives sous des prétextes pour le moins discutables comme la réception de lettres anonymes calomnieuses et en pratiquant un hyper-formalisme administratif surprenant.
Ce contraste donne l’impression que la direction de l’Unil cherche des boucs émissaires après avoir été mise sous pression pour sa gestion de l’occupation de l’Unil. Pour ce faire elle se sert de manière abusive des procédures à sa disposition. Le double avantage pour elle étant que ces procédures sont individuelles et soumises à la confidentialité, isolant de fait les collègues concerné·e·s.
Le droit à la liberté d’expression
Ce silence contribue également de fait à attaquer la liberté d’expression et la liberté académique d’un employé.
Le rôle des enseignant·e·s-chercheurs/euses de l’Unil est de produire de la connaissance et de former des étudiant·e·s mais également de stimuler le débat de société (comme stipulé à l’art. 2 de la Loi sur l’Université de Lausanne). Or si un chercheur qui s’exprime publiquement se voit immédiatement (dis-)qualifié d’«activisme» sans aucune réaction de son employeur, alors même qu’il s’exprime sur son domaine de compétence, on ne peut qu’en conclure que la direction de l’Unil ne le soutient pas et ne défend pas, de fait, la liberté d’expression.
Cela n’empêche bien entendu pas que les analyses des chercheurs soient débattues et que d’autres chercheurs ne partagent pas les mêmes conclusions. Le débat et le droit à la contradiction sont l’essence même de la progression de la connaissance scientifique. Par contre, lorsque l’employeur ne défend pas le statut de scientifique de ses chercheurs en les laissant seul·e·s affronter la disqualification médiatique, elle ne soutient ni la liberté d’expression ni la liberté académique. Or, nous sommes dans une période dans laquelle la défense du travail scientifique est plus que jamais nécessaire au vu des attaques subies par les scientifiques qui ne sont pas aligné·e·s sur les options politiques de certains gouvernements.
Science et activisme
La question de la liberté d’expression renvoie notamment à la liberté des travailleurs·euses académiques de s’exprimer publiquement. Sur cette question-là aussi, le «deux poids deux mesures» est appliqué et le qualificatif d’«activiste» ou de «militant» est systématiquement utilisé pour dénier a priori le statut de scientifique à certain·e·s.
Or, un·e scientifique ne cesse pas forcément d’être scientifique lorsqu’il ou elle milite. Sa scientificité dépend de la manière dont son analyse est produite et fonde la position prise publiquement. Sur ce point, la position du Prof. Daher est fondée sur des années de recherche et de nombreuses publications, donc sur des analyses reconnues comme scientifiques dans la communauté académique. On peut ne pas être d’accord avec son analyse mais on ne peut pas la disqualifier a priori parce qu’elle serait «militante» ou «activiste». Ou alors il faut considérer également, par exemple, que tou·te·s les (nombreux) économistes qui interviennent publiquement pour déréguler le marché du travail sont des «militant·e·s» ou des «activistes» mais pas des scientifiques.
Le droit de ne pas être traité arbitrairement
Indépendamment de ce que l’on pense du mouvement d’occupation de l’Unil et/ou de la politique du gouvernement israélien, quiconque se dit soucieu·se·x de la protection des droits élémentaires des salarié·e·s devrait s’élever contre les procédés utilisés par la Direction de l’Unil et soutenir les demandes du Prof. Daher à pouvoir exercer son métier et ses droits élémentaires. En plus d’être contestable (et contesté puisque le Prof. Daher a saisi le tribunal des prud’hommes de l’administration publique – TRIPAC) sur le fond, le traitement du Prof. Daher par son employeur viole des principes fondamentaux des droits des salarié·e·s.
Oui, le Prof. Daher a soutenu le mouvement d’occupation de l’Unil par les étudiant·e·s. Oui, le Prof. Daher a un discours critique, fondé sur des années de recherche scientifique, sur la politique du gouvernement israélien à l’égard de la Palestine.
Doit-il pour autant être mis au ban de la communauté académique et interdit d’enseigner? Ce n'est pas notre avis, ni manifestement celui de nombre de ses collègues de l’Unil et des autres universités (plus de 100 collègues de l’Unil et plus de 500 scientifiques en Suisse et à l’étranger ont déjà affiché leur soutien au Prof. Daher en signant des pétitions de soutien), ni celui du Conseil de la Faculté des SSP, qui a adopté une résolution soutenant le Prof. Daher adressée à la direction de l’Unil.
Cela justifie-t-il que droit ne s’applique pas à lui et qu’il soit condamné sans recours possible?
Si l’on accepte cela alors il deviendra très difficile de se défendre d’accusations, fondées ou infondés à l’avenir. Et la possibilité de se défendre reste un des axes de tout État de droit.
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17.02.2025 | Contrat de professeur « non-renouvelé » l’UNIL invente des procédures pour se débarrasser d’un employé | PDF (255,6 kB) |