Le 19 décembre, vous avez fait grève en compagnie de dizaines de collègues. Qu’est-ce qui a déclenché votre mouvement?
Zoé Béboux – Environ deux semaines avant les vacances, nous avons reçu un message de la direction générale de l’enseignement obligatoire. Celle-ci nous annonçait une hausse de salaire en 2023. Or ce n’est pas du tout le cas: ignorant les syndicats, qui demandent la pleine compensation du renchérissement depuis des mois, le Conseil d’Etat a décidé d’augmenter la fonction publique et parapublique de 1,4% – hormis les plus bas salaires, qui bénéficieront d’une prime supplémentaire, mais pas dans le parapublic. Or 1,4%, c’est nettement plus bas que le taux d’inflation en 2022, calculé à 2,8% en moyenne annuelle par l’Office fédéral de la statistique (OFS).
En recevant ce courrier, une majorité de mes collègues se sont rendu compte qu’ils et elles allaient voir leur revenu baisser en 2023 – jusque-là, seul un petit nombre d’entre eux s’étaient intéressés à la question. Le lundi suivant, dans la salle des maîtres, ce message était au centre de toutes les discussions.
Quelle a été la réaction des collègues?
Tout le monde était très remonté. Que Vaud, un des cantons les plus riches de Suisse, ne prévoie même pas d’indexer les salaires de ses employé-e-s, cela ne passait – et passe – toujours pas. Nous avons l’impression que notre employeur se moque de nous!
Cette décision – et le ton adopté pour l’annoncer – sont d’autant plus difficiles à avaler que nous sortons de deux années de pandémie. Cette période a été rude aussi pour les enseignant-e-s. Or aujourd’hui, en guise de remerciement, notre employeur nous offre une baisse de revenu!
Je pense que c’est la goutte d’eau qui a poussé les collègues à se mobiliser.
Comment avez-vous organisé la grève?
La colère était si grande que nous avons d’abord évoqué la possibilité de nous mettre en grève dès le lendemain. Mais il est difficile d’organiser une grève en un jour, et notre conscience professionnelle nous interdisait de laisser en plan les élèves. Nous avons donc décidé, dans un premier temps, de participer en nombre à la manifestation syndicale du 13 décembre, qui a réuni 2000 personnes à Lausanne.
En discutant avec les collègues présent-e-s à la manif, nous avons décidé de faire grève le lundi suivant, 19 décembre. Nous avons donc informé les enseignant-e-s et la direction de notre site de Grand-Vennes (le collège Isabelle-de-Montolieu est réparti sur trois lieux distincts en ville de Lausanne) qu’il y aurait grève. Nous avons donné nos contacts aux collègues en cas de question, et les gens se sont spontanément annoncés comme grévistes. Tout cela s’est fait assez facilement, en l’espace de quelques jours.
Le mouvement a été bien suivi?
Le 13 décembre, nous étions quarante-trois enseignant-e-s à arrêter le travail, soit plus de la moitié du collège de Grand-Vennes!
En raison de cette forte mobilisation, notre site a été partiellement fermé durant une journée. Les élèves de 9 à 11H (les classes du secondaire I) sont resté-e-s à la maison, tandis que les 7 et 8H (classes de primaire) sont venu-e-s à l’école. Les enfants dont les profs n’étaient pas en grève ont suivi les cours normalement, tandis que les autres ont regardé des films ou fait des activités sous la supervision d’enseignant-e-s non-grévistes.
Pour certain-e-s collègues, c’était la première fois qu’ils et elles faisaient grève. D’autres avaient déjà participé à la grève féministe en 2019 ou, quelques années plus tôt, aux mouvements de lutte contre la baisse des rentes de retraite versées par la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud (CPEV).
Ce qui était aussi impressionnant ce jour-là, c’était le soutien affiché à la grève par l’ensemble des collègues, y compris celles et ceux qui ont travaillé.
Il faut préciser que certain-e-s enseignant-e-s n’ont pas pu débrayer pour des motifs financiers: des mères célibataires (et non syndiquées) qui enseignent à l’école primaire, où les revenus sont plus bas, ne peuvent pas se passer du salaire d’une journée de travail.
Comment s’est déroulée la grève?
Le matin, nous avons organisé un pique-nique canadien. Ensuite, nous avons fait une assemblée générale, durant laquelle nous avons expliqué quelques points en matière d’indexation des salaires, avant de nous répartir en ateliers. Ceux-ci se sont penchés sur différents thèmes: rédaction d’une lettre au Conseil d’Etat, discussion sur la suite du mouvement, préparation de la grève féministe du 14 juin, etc.
Après le déjeuner, nous sommes spontanément parti-e-s en cortège, dans l’objectif de rendre visite aux conseillères et conseillers d’Etat. Nous sommes passé-e-s devant les bureaux de Nuria Gorrite, Valérie Dittli et Frédéric Borloz, puis nous sommes rendu-e-s au Château, où siège le gouvernement. À chaque fois, nous avons demandé aux magistrat-e-s de nous recevoir – sans succès.
La grève a été suivie uniquement dans les écoles. Pourtant, c’est l’ensemble de la fonction publique et parapublique qui est touchée par une baisse de revenu…
Un élément important de la mobilisation qui touche notre établissement, c’est le sentiment de solidarité qui l’imprègne. Lors des discussions avec mes collègues, un élément revient souvent: la prise de conscience que nous faisons grève pour défendre nos salaires, mais aussi ceux de l’ensemble des employé-e-s du public et du parapublic.
Pour un-e soignant-e, un-e éducateur-trice ou un-e aide à domicile, il est en effet plus compliqué de débrayer, entre autres en raison du sous-effectif qui frappe ces secteurs.
Nous nous mobilisons donc aussi en solidarité avec les collègues qui ne peuvent pas faire grève, mais sont aussi en colère que nous.
Les syndicats appellent à une nouvelle journée de mobilisation, le 23 janvier. Vous allez y participer?
Oui. Le 19 décembre, à la fin de notre arrêt de travail, nous avons voté à l’unanimité en faveur d’une nouvelle journée de grève le 23 janvier. Nous avons aussi élu un petit groupe chargé de la coordination de cette mobilisation. Nous sommes actuellement en train de relancer le mouvement dans cette perspective. L’idée est de toucher cette fois les trois sites d’Isabelle-de-Montolieu, et d’être plus nombreux-euses qu’en décembre!
Le 23 janvier, en lutte pour les salaires
Après plusieurs mobilisations aux mois de novembre et décembre, les organisations du personnel de la fonction publique vaudoise préparent une nouvelle journée de lutte, lundi 23 janvier. Les syndicats SSP et SUD ainsi que la Fédération des sociétés de fonctionnaires (FSF) appellent l’ensemble des employé-e-s des secteurs public et parapublic à faire grève et se mobiliser à cette occasion, notamment en participant à la manifestation unitaire prévue en fin de journée à Lausanne. Rendez-vous est donné à 17 h 30 sur la place Saint-François.
Des grèves sont annoncées dans de nombreux établissements scolaires, et les assemblées générales de mobilisation se succèdent. On peut consulter la liste des lieux de travail mobilisés ici: https://vaud.ssp-vpod.ch/themes/pour-la-hausse-et-lindexation-des-salaires/toutes-et-tous-en-greve-le-23-janvier-2023
Pour le SSP, SUD et la FSF, la mobilisation du 23 janvier représentera la réponse de la fonction publique et parapublique à la décision du Conseil d’Etat d’indexer les salaires de seulement 1,4%.
«Un tel taux d’indexation est l’un des plus bas des employeurs publics de Suisse romande. Il implique des pertes de salaires extrêmement importantes», écrivent le SSP, SUD et la FSF. Les trois organisations ne se satisfont pas non plus de la prime unique (+0,8% du salaire 2022) octroyée aux salarié-e-s des classes 1 à 10, qui touchent les revenus les plus bas: «Cette prime n’étant pas intégrée au salaire, elle restera sans lendemain et ne compense pas la hausse du coût de la vie. De plus, elle ne concerne pas les employé-e-s du secteur parapublic», soulignent-elles.
Les syndicats revendiquent l’ouverture rapide de négociations avec le Conseil d’Etat. Ils demandent aussi à l’exécutif d’annoncer au préalable son intention d’augmenter significativement le taux d’indexation des salaires pour 2023. En cas de refus, ils appelleront à une deuxième journée de grève et de mobilisation, mardi 31 janvier.
«Le Conseil d’Etat a les moyens politiques et financiers de répondre aux légitimes revendications du personnel», soulignent le SSP, SUD et la FSF. C’est le moins qu’on puisse dire: depuis 2008, l’Etat de Vaud enregistre année après année des excédents budgétaires conséquents. «Pour donner une apparence plus équilibrée à ses comptes, le Canton procède à des écritures de bouclement (préfinancements, amortissements anticipés, provisions, etc.) qui génèrent d’énormes réserves. Celles-ci viennent s’ajouter à la fortune nette de l’Etat, qui s’élève à 2,4 milliards dans les comptes 2021. Au total, avec les réserves latentes, la fortune effective de l’Etat de Vaud avoisine désormais les 5,3 milliards (…) Pour se faire une idée du trésor de guerre du Canton, celui-ci pourrait tenir une année sans percevoir l’impôt sur le revenu des personnes physiques et celui sur la fortune» (24 heures, 4 novembre 2022).
Cette situation financière confortable a ouvert l’appétit du Centre cantonal vaudois: la faîtière patronale a lancé une initiative exigeant une baisse linéaire (-12%) des impôts cantonaux sur le revenu et la fortune – une mesure qui profiterait d’abord aux plus aisé-e-s.