Pour le personnel du social, très présent dans les mobilisations de la fonction publique vaudoise ces derniers mois, la non-indexation a été la goutte d’eau de trop. Bas salaires, manque de moyens et sous-effectifs ont en effet plongé le secteur dans une crise profonde, marquée notamment par une vague d’abandons de la profession. Avec le soutien des syndicats, une campagne s’organise pour exiger une amélioration des conditions de travail et la revalorisation des métiers du social. Questions à Marc* et Amandine*, éducateur-trice au sein de deux grandes institutions sociales vaudoises.
Le personnel du social parapublic dénonce la dégradation de ses conditions de travail. Comment se traduit-elle?
Marc* - Éducateur itinérant, j’accompagne des familles à domicile dans l’objectif de mettre sur pied un cadre éducatif bienveillant. Je suis souvent confronté à des situations difficiles: violences, négligences, maltraitances, précarité, maladies psychiatriques, couples qui se déchirent sont mon lot quotidien. Cette pénibilité est inhérente à notre travail. Le problème, c’est le manque de moyens et de structures dans le social parapublic. Le canton n’a pas ouvert les structures ambulatoires qu’il annonçait, ni ouvert de nouveaux foyers. Cela entraîne des situations catastrophiques pour les bénéficiaires – des enfants qui restent dans des domiciles totalement dysfonctionnels ou vivent à l’hôpital par manque de foyers. Le personnel doit tenter d’affronter ces situations et de pallier le manque de moyens. Cette réalité rend nos conditions de travail de plus en plus difficiles.
Amandine* - Je suis éducatrice dans un foyer qui accueille des adolescent-e-s. Cette structure est ouverte jour et nuit, toute l’année. Nous travaillons donc avec des horaires atypiques et irréguliers – le week-end, en soirée et la nuit. Il n’y a pas de jour fixe de congé.
Certaines semaines, nous travaillons plus de soixante heures si nous devons remplacer un-e collègue maladie au pied levé. Ensuite, nous avons des périodes plus tranquilles, car les horaires sont annualisés. Mais lorsque nous faisons des semaines de soixante heures, nous avons l’impression de ne pas faire notre travail comme les jeunes le mériteraient.
Il y a aussi beaucoup de fluctuations au niveau du rythme. La période de fin d’année est compliquée pour les jeunes au niveau émotionnel, ils ont besoin de plus d’accompagnement.
Ces fluctuations des horaires et de la charge de travail sont source de pénibilité. Elles sont aussi difficiles à concilier avec une vie de famille.
L’autre problème, c’est le sous-effectif dû aux arrêts maladie et à la difficulté des directions à repourvoir les postes. Ce sous-effectif entraîne une surcharge, qui conduit à la multiplication des burn-out… qui épuisent le reste des équipes. C’est le serpent qui se mord la queue.
Qu’en est-il des salaires?
A – Notre salaire nous permet tout juste de vivre. En début de carrière, la rémunération est de 4000 francs nets pour une personne à 80%. Il faut savoir qu’il est difficile de travailler à 100% dans le secteur – en raison de la pénibilité, mais aussi des heures de récupération prévues par la loi sur le travail et la CCT. Et quand on est à 80%, il est impossible de trouver un 20% pour compléter le revenu, car nous devons être disponibles en tout temps.
J’ai pas mal de collègues qui habitent en collocation, en raison des bas salaires. Nous nous sentons aussi précaires que les personnes dont nous nous occupons!
M – Pour un 100%, nous touchons environ mille francs de moins par mois que dans les autres cantons romands. Or à Lausanne, le prix d’un trois-pièces est de 2500 francs par mois. Et aujourd’hui, le gouvernement nous impose une baisse de revenu en refusant de compenser l’inflation!
Vous avez le sentiment d’un manque de reconnaissance?
M – Avec mes collègues, nous sommes fâché-e-s à la fois par les mauvaises conditions de travail et le manque de reconnaissance. Conséquence de cette situation: de nombreuses et nombreux professionnels qualifiés quittent le secteur. La crise est telle que certaines institutions sont prêtes à engager du personnel non diplômé.
A – Nous avons l’impression d’être peu reconnu-e-s alors que notre travail est essentiel. Et nous nous sentons méprisé-e-s par le gouvernement, qui refuse d’indexer nos salaires.
Beaucoup de monde quitte le boulot. Moi-même, je me dis chaque mois que si je vendais des glaces, je gagnerais autant et pourrais avoir une vie personnelle plus accomplie. Si je reste, c’est par amour du métier: pour ces étincelles de bonheur lorsqu’un-e jeune s’accomplit dans sa vie professionnelle et personnelle.
Que faire pour résoudre la crise du social?
A– Il faut augmenter le salaire de tout le personnel –éducatif, de veille, d’intendance, de cuisine, etc. – de plusieurs centaines de francs par mois. En parallèle, il faut que la pénibilité du travail soit compensée par du temps offert au personnel. Les horaires atypiques doivent aussi être mieux rémunérés.
M – Il faut commencer par l’indexation des salaires à 5%. Tant que les travailleurs-euses du secteur continueront à perdre de l’argent, on ne pourra pas avancer. Ensuite, il y a les horaires. Dans les foyers, il est impossible d’avoir une vie de famille en raison de la surcharge entraînée par le turnover et les burnout: il faut donc engager plus de personnel.
Un rassemblement du secteur social aura lieu le 14 mars. Parmi vos collègues, vous sentez une disponibilité à la lutte?
M – J’ai participé à toutes les manifestations sur l’indexation. À chaque fois des collègues étaient présent-e-s, mais il était difficile d’avoir des équipes au complet. Pour le rassemblement du 14 mars, nous avons plus de temps pour mobiliser. Nous proposons des revendications très concrètes pour le secteur, et je pense que cela va parler aux collègues. Les gens doivent aussi comprendre l’importance de se syndiquer: c’est un acte fondamental pour défendre nos salaires et nos conditions de travail.
A – J’ai aussi manifesté pour l’indexation, en compagnie de plusieurs collègues. Les horaires atypiques et l’épuisement ont en revanche empêché d’autres de participer.
Dans le social, tout le monde soutient nos revendications. Les gens en ont marre de travailler dans des conditions insupportables au nom du don de soi.
Je pense que la mobilisation va prendre de l’ampleur. Il sera important de rester uni-e-s et de résister aux tentatives de division. Les conditions sont pénibles dans toutes les institutions sociales du canton, et pour tous les corps de métier. C’est partout et pour tout le monde qu’elles doivent s’améliorer.
*Prénoms d’emprunt