Mère célibataire, salariée en situation de sous-emploi au sein de l’administration vaudoise, Sabine* témoigne de ses difficultés à nouer les deux bouts alors que le coût de la vie continue à grimper. Son récit illustre aussi le décalage entre les discours du Conseil d’Etat et la réalité vécue par des milliers de salarié·e·s.
Employée de l’administration cantonale, vous avez de la peine à nouer les deux bouts. Pourquoi?
Sabine* – Je travaille à l’Etat de Vaud, mais à temps partiel – j’aimerais augmenter mon taux de travail, mais mon employeur s’y refuse. De plus, je fais partie des basses classes de salaire. Concrètement, je touche ainsi nettement moins de 3000 francs bruts par mois.
Vivant seule avec un enfant à charge, je me trouve dans une situation financière très serrée. Quand mon fils avait moins de 16 ans, j’avais droit aux PC familles mises en place par le Canton, qui prenait ainsi en charge une partie de nos dépenses de maladie. Mais ce droit s’est éteint le jour où mon fils a fêté son 16e anniversaire.
Je n’ai pas envie de demander l’aide sociale, car je pense qu’il y a des personnes qui en ont plus besoin que moi – par exemple celles qui ne peuvent pas travailler. Alors, j’essaie de me débrouiller en faisant attention à toutes mes dépenses.
Pour les basses classes, le Conseil d’Etat a décidé d’octroyer, en plus de 1,4% d’indexation, une prime unique de 0,8%. Cela vous permet-il de faire face à la hausse des prix?
Cette année, l’assurance maladie a augmenté de plus de 6%. Même si je reçois un subside, je paie plus de 300 francs pour ma caisse maladie et celle de mon fils. Au niveau du logement, j’ai déjà reçu une lettre de la régie indiquant que mes charges vont augmenter et me proposant d’avancer 20 francs de plus chaque mois pour compenser cette hausse. J’ai refusé, car je ne peux pas me permettre de débourser une telle somme en plus. Les coûts de l’alimentation ont aussi pris l’ascenseur, notamment pour certains fruits et légumes.
Même en prenant en compte la prime de 0,8% (soit environ 20 francs de plus par mois), l’augmentation n’est pas à la hauteur de la hausse réelle du coût de la vie. Cette situation est frustrante car j’économise déjà partout où je le peux – à l’exception des dépenses nécessaires pour mon fils.
Est-ce que vous devez renoncer à certaines dépenses?
Je renonce parfois à aller chez le médecin. Et depuis que je n’ai plus droit aux PC familles, je ne suis plus retournée chez le dentiste. Je ne vais pas non plus chez le coiffeur, ni chez l’esthéticienne. J’évite d’aller au restaurant, et il est rare que je boive un café à l’extérieur.
Je fais la chasse aux actions, en allant d’un magasin à l’autre. J’ai radié la viande de mon alimentation, mais continue à en acheter pour mon fils, car il est en phase de croissance.
Ce qui me fait vraiment peur, ce sont les imprévus. J’angoisse à l’idée de devoir sortir 200 à 300 francs en plus pour une dépense non programmée.
Heureusement, je ne souffre pas de la faim. Mais quand on fournit un travail de qualité et qu’on est prête à augmenter son taux d’occupation, cela fait mal de ne pas pouvoir aller chez le coiffeur en raison d’un salaire trop bas.
D’autant plus que dans mon service, le travail ne manque pas!
Qu’en est-il de votre charge de travail ?
Depuis mon engagement, les tâches exigées par mon poste ont augmenté de manière continue. De fait, mon cahier des charges n’est plus adapté à mon taux de travail à temps partiel. Pour faire face à ces tâches, je fais souvent des heures supplémentaires.
Notre service fait régulièrement recours à des civilistes et des stagiaires, ce qui confirme la surcharge. J’ai demandé une augmentation de mon temps de travail, mais celle-ci m’a été refusée – faute de budget, m’a-t-on répondu.
Que pensez-vous de la mobilisation en cours pour l’indexation des salaires?
Je trouve ce mouvement très important, et j’espère qu’il aboutira à un résultat.
Personnellement, je n’ai pas fait grève jusqu’à présent. D’une part, parce que j’ai peur de possibles répercussions sur mon poste de travail. Ensuite, parce que je ne peux pas me permettre de voir mon salaire déjà insuffisant encore amputé des heures de grève.
En revanche, je vois des employé·e·s qui ont une meilleure situation faire grève pour que les bas salaires comme moi reçoivent une augmentation correcte. Cela me touche. Et c’est ce qui m’a décidé à témoigner.
Certain·e·s élu·e·s de droite critiquent le «statut de privilégié» des employé·e·s de l’Etat. Comment réagissez-vous?
Je ne sais pas ce qu’ils entendent par «privilégié·e·s». De mon côté, je dois faire attention à chaque franc. Et je constate que des connaissances dans le privé ont eu des augmentations salariales supérieures à ce que nous accorde le Conseil d’Etat.
Souvent, j’entends que je serais «bien lotie» à l’Etat. Mais dans mon service, nous travaillons beaucoup. Nous devons réaliser un travail de qualité, dans un domaine exigeant et en constante évolution. On ne regarde pas l’heure tourner!
Pour ma part, je pense que chaque salarié·e devrait toucher un revenu lui permettant de vivre décemment.
*Prénom d’emprunt
Basses classes et temps partiel, le lot de nombreuses travailleuses de l’etat
Au 31 décembre 2021, la fonction publique vaudoise employait 37 819 personnes. Les travailleuses sont majoritaires (64 %) au sein de l’Etat, notamment en raison du poids des branches de l'enseignement, de la santé et de l'action sociale, largement féminisées.
Selon le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes[1], les travailleuses sont surreprésentées dans les classes 1 à 10 (représentant 69% des équivalents plein temps, EPT), qui touchent les salaires les plus bas. On y trouve notamment les salarié·e·s actifs·ives dans les soins, dans l’éducation de la petite enfance ou dans l'administration générale. Représentées à parts égales avec les hommes dans les classes 11 à 13, où on trouve notamment le corps enseignant du post-obligatoire, les femmes forment seulement 34% des effectifs des classes 14 à 18, souvent associées à des postes à responsabilité hiérarchique.
À l’Etat de Vaud, les femmes travaillent nettement plus souvent à taux partiel que les hommes: leur taux d’occupation moyen atteint 78%, contre 90% pour les hommes. Dans les classes salariales les plus élevées (16 à 18), le travail à plein temps est en revanche la règle, quel que soit le sexe.
On ne dispose pas de données officielles sur le nombre de salarié·e·s en sous-emploi à l’Etat de Vaud – soit les personnes travaillant à temps partiel mais désireux·euses d’augmenter leur taux de travail.
Pour l’année 2020, l’Office fédéral de la statistique (OFS) calculait que le sous-emploi touchait en moyenne 7,5% de la population active. Le phénomène était nettement plus répandu chez les femmes (11,7%) que chez les hommes (3,9%).
[1] Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes: Les chiffres de l’égalité? Vaud 2022.