Nyon: où sont passés les témoignages des victimes de harcèlement?

de: Letizia Pizzolato, secrétaire syndicale SSP

L’Administration de la Ville de Nyon fait régulièrement la une des journaux depuis plusieurs mois. Mais quelle est donc la nature de la crise qui occupe la Ville, sa Municipalité et son personnel?

Photo MHM55, Wikimedia Commons

Dès l’été 2021, le SSP interpelle la Municipalité de Nyon pour dénoncer les cas de harcèlement dont sont victimes de nombreuses personnes au sein de l’administration et, plus grave encore, la mise à l’écart forcée d’une partie d’entre elles avec la volonté de les réduire au silence.

Au cœur de cette crise, enfin révélée grâce aux interpellations de notre syndicat et grâce aux médias, force est de constater que la Municipalité a adopté une ligne de conduite peu glorieuse: étouffer par tous les moyens possibles les graves dysfonctionnements qui gangrènent son administration, comme les voix qui osent les dénoncer. En agissant ainsi, elle se rend complice d’un système qui brise et isole des employé·e·s, aux dépens de leur santé et de leur emploi.

En réponse à la mise en lumière publique de ce dossier, la Municipalité cumule mensonges et contre-vérités dans le but de détourner l’attention du vrai problème. Ainsi, au gré de ses interventions dans la presse, la crise trouve tantôt son origine dans un conflit entre un chef et son adjoint·e, tantôt dans la surcharge chronique du service de l’administration générale, puis dans la surcharge du service des ressources humaines, dont est même rendu responsable le Conseil communal qui avait, par le passé, refusé des postes supplémentaires. Plus tard, la crise est due à une dérive clanique. Enfin, elle trouve son origine dans un problème structurel et organisationnel, avant de redevenir un conflit entre deux chefs de service. Cette dernière version semble s’établir.

À aucun moment le harcèlement n’est un sujet. La Municipalité déclare inlassablement que le terme de «mobbing» n’apparaît pas dans le rapport. Or les constats que fait l’enquêteur, dans son rapport gardé farouchement secret, correspondent bel et bien à la définition de mobbing et de harcèlement psychologique.

Face à ces tentatives de manipulation de l’opinion publique et d’atteinte aux droits des employé·e·s, le SSP se doit de rétablir les faits.

La crise actuelle n’est pas liée à un «conflit entre deux chefs», tel que nous l’assure le Syndic de Nyon. Cette version, qui n’apparaît que très tardivement dans sa communication, s’avère particulièrement cynique. Il semble qu’il suffise d’évoquer un supposé «combat de coqs» pour faire bien vite oublier, au Conseil communal comme à certains médias, les situations de souffrances, certes moins accrocheuses mais bien réelles, à l’origine de la crise. Les souffrances de celles et ceux qui ont tenté, avec courage et aux dépens de leur santé et de leur intégrité, de dénoncer le harcèlement dont elles et ils étaient victimes depuis trop longtemps.

Chronologie des évènements

Le SSP dénonce ce harcèlement systématique et les jeux de pouvoir qui l’accompagnent dans un premier courrier à l’attention de la Municipalité à l’été 2021. Nous y évoquons sans détour l’attitude du Secrétaire municipal dont des comportements similaires ont déjà fait l’objet de notre attention, voire de notre intervention, par le passé. D’autres courriers suivront, pour exiger des enquêtes transparentes et des mesures immédiates.

Dès l’été, le service des Ressources humaines, son responsable comme la Municipale nouvellement élue en charge de ce dicastère, se saisissent de ces situations qu’ils considèrent comme alarmantes et entendent les personnes concernées. Ils reconnaissent la gravité de la situation et interpellent la Municipalité. Mais dès les premiers jours de la nouvelle législature, le dossier est gelé, sans même une ébauche de vérification, par la Municipalité qui refuse toute démarche à l’encontre du Secrétaire municipal.

Plus grave encore, le service des Ressources humaines est totalement écarté du traitement de ces situations de harcèlement. Son chef de service est plus particulièrement visé et accusé de chercher à nuire au Secrétaire municipal. Il fait à son tour l’objet d’une mise à l’écart, plus discrète que celle, fortement médiatisée, qui verra la Municipale Buckle faire l’objet d’une plainte pénale de la part de ses collègues quelques mois plus tard.

La Municipalité n’est toutefois plus en mesure de faire taire l’ensemble des plaintes et des voix qui s’élèvent, tant de la part du SSP que du personnel, pour exiger que des mesures soient prises. Cette question sera même abordée lors de l’Assemblée générale du personnel qui évoque collectivement «[ces] situations inacceptables de mobbing et d’autres formes de harcèlement constatées» [1]. La Commission du personnel s’associe à la démarche du SSP pour demander plus de transparence et le respect du droit et des personnes.

Une enquête floue …

Confrontée simultanément aux pressions du SSP et de la Commission du personnel qui participent, par leur action, à donner une dimension publique au dossier, la Municipalité se résigne à mandater une enquête. La démarche ne répond cependant pas aux attentes légitimes du personnel, des victimes et du SSP: la Municipalité écarte toute mise en cause de son Secrétaire municipal malgré les nombreuses plaintes convergentes, comme elle refuse aux victimes le statut de plaignantes, statut qui leur garantirait un plein usage de leur droit d’être entendues. Certaines d’entre elles ne seront même pas auditionnées pendant le déroulement de l’enquête.

Mais quel est l’objet de cette enquête, justement? Elle ne porte pas sur les faits de harcèlement dénoncés et signalés par le service des Ressources humaines, que la Municipalité continue d’ignorer, mais sur des soi-disant «dysfonctionnements administratifs» de certains services, selon les déclarations de la Municipalité.

Les objectifs comme les questions soumises à l’enquêteur sont gardés confidentiels, y compris à l’égard des personnes auditionnées qui ignorent tout du cadre dans lequel elles s’expriment. Le choix de l’enquêteur laisse aussi le SSP perplexe: le CV de M. Pierre Muller, que le Syndic présente avec insistance sous le titre «d’ancien juge cantonal», est certes très complet mais cet avocat, basé à Lausanne, est spécialisé dans les litiges en matière patrimoniale. Son curriculum ne présente aucune expertise en matière de droit du travail ou de droit public.

Les entretiens qui ont été menés confirment que la démarche ne visait pas du tout à investiguer les faits de harcèlement qui gangrènent l’administration. Plus choquant encore, les personnes auditionnées constatent que des questions portent sur le chef de service des Ressources humaines, mis en cause pour ce que la Municipalité considère comme des attaques visant à nuire au Secrétaire municipal. Plus largement, et le rapport le confirmera, l’approche adoptée tend à assigner la responsabilité de ces «dysfonctionnements» à une partie des plaignantes. Ce mécanisme d’inversion de la faute au détriment des victimes, que l’on cherche à rendre responsables des atteintes subies, est intolérable, tout comme l’acharnement contre celles et ceux qui dénoncent le harcèlement sous toutes ses formes.

En parallèle et pour toute la durée de cette démarche biaisée dès le départ, le Syndic cherche à maîtriser la situation en communiquant avec son personnel: toute éventuelle doléance doit être adressée directement à la Municipalité, au détriment des Ressources humaines qui sont définitivement évincées. A titre personnel, le Syndic s’adresse également par email à certain·e·s collaboratrices et collaborateurs, parmi lesquel·le·s plusieurs cadres, directement concerné·e·s ou supposé·e·s tel·le·s. Dans cet email, il évoque bien la crise au Service de l’administration générale dont il suppose qu’elle est connue de toutes et tous – mais ne fait aucune allusion alors à la théorie du conflit entre services qui va apparaître plus tard. Cet email, clairement menaçant, vise à décourager les victimes comme ceux et celles qui voudraient les soutenir ou témoigner de s’exprimer, de s’ouvrir à leurs collègues ou simplement d’évoquer le sujet, le Syndic allant jusqu’à brandir la menace de la faute grave [2].

La pression exercée sur le personnel s’intensifie encore, et les victimes, pour certaines éloignées depuis des mois de leur poste, vont se trouver plus isolées que jamais, et complètement livrées à elles-mêmes. La Municipalité ne se souciera à aucun moment de ce qu’elles endurent et ne prendra pas de leurs nouvelles.

… et un rapport gardé secret

Si l’hypothèse que cette enquête permettrait de faire enfin la lumière sur cette crise de manière transparente a pu traverser l’esprit des plus optimistes, leurs espoirs n’ont pas tardé à être balayés. La Municipalité indique rapidement qu’elle ne communiquera pas le contenu du rapport, s’abritant pour cela derrière des arguments peu convaincants voire contradictoires. Aujourd’hui, face aux mensonges de la Municipalité sur cette affaire et à la dissimulation des faits, il paraît essentiel de porter à la connaissance de toutes et tous les éléments factuels qui composent ce dossier, étayés par les conclusions même du rapport d’enquête, qui est désormais en possession du SSP, et dont nous communiquons ci-dessous les extraits les plus importants.

Résultats de l’enquête

Il est nécessaire de souligner que ce rapport et ses conclusions, malgré une démarche clairement orientée et tronquée par la Municipalité qui a cherché à détourner l’attention de l’enquêteur des problématiques réelles, permettent malgré tout de démontrer, de manière définitive les éléments suivants:

  • Contrairement aux déclarations de la Municipalité, le comportement du Secrétaire municipal a été dénoncé par l’enquêteur qui évoque au moins cinq situations problématiques. Il qualifie ce comportement d’incompatible avec les exigences du poste et de faute grave sur au moins une situation. L’enquêteur précise la nature de dol éventuel de la faute – qui implique que le Secrétaire municipal ne pouvait ignorer l’effet de ses attitudes sur ses victimes – et reconnaît que les comportements visaient, dans une situation au moins, à ce que la personne démissionne. L’enquêteur, de son propre aveu, indique qu’il est difficile de comprendre pour quelle raison la Municipalité tolère ce comportement, dont elle a connaissance. À l’inverse, la responsabilité des plaignantes n’est pas mise en cause, même lorsque les situations sont présentées sous l’angle du conflit entre personnes ou comme pouvant être justifiées par le comportement ou la posture des victimes.

«[…] l’enquêteur considère que la manière dont ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] s’est comporté envers ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l'employée A] lors des deux épisodes susmentionnés n’est pas conforme aux égards qui peuvent et doivent être attendus de la part d’un cadre supérieur occupant un poste tel que celui de Secrétaire municipal de la Commune de Nyon. Pour l’enquêteur, ce comportement constitue une violation par l’intéressé de ses devoirs de fonction.»

«De l’avis de l’enquêteur, la manière dont s’est comporté ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] envers ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l’employée B] n’est pas conforme aux égards qui peuvent et doivent être attendus de la part d’un cadre supérieur occupant un poste tel que celui du Secrétaire municipal. Aucun collaborateur de la Commune de Nyon n’a le devoir de subir des propos ou des comportements potentiellement blessants, dénigrants ou humiliants de la part d’un supérieur hiérarchique[…]»

«Le comportement de ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] envers ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l’employée B] constitue donc, de l’avis de l’enquêteur, une violation de ses devoirs de fonction, violation qui paraît importante compte tenu de sa position de cadre supérieur.»

«Indépendamment de ce dernier point, la communication parfois blessante de ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] n’est, de l’avis de l’enquêteur, pas acceptable et l’on voir mal pour quelles raisons la Municipalité devrait la tolérer plus longtemps

«Il résulte de l’examen des cinq situations ci-dessus qu’il n’est souvent pas possible de déterminer de manière suffisamment précise – soit pertinente d’un point de vue disciplinaire – quels termes ont été employés ou quels comportements ont été adoptés dans quel contexte et à quel moment. Mais il apparait largement établi qu’il arrive à ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] de s’exprimer ou de communiquer d’une manière qui peut blesser. […] S’agissant des excuses présentées, il peut évidemment être attendu du Secrétaire municipal de la Commune de Nyon qu’il s’excuse lorsqu’il se rend compte qu’il a heurté ou blessé un collaborateur par ses propos ou sa manière de communiquer. Mais doit également s’attendre – et exiger – d’un cadre supérieur intelligent et expérimenté qui a dû s’excuser à plusieurs reprises qu’il modifie son comportement et évite ainsi de heurter ou blesser à nouveau ou avec des comportements similaires les mêmes personnes ou d’autres.»

«Pour l'enquêteur, le fait d’avoir, à réitérées reprises et sur une période de plusieurs semaines, tenu des propos blessants, dénigrants où humiliants à ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l'employée B] dans un contexte où ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] cherchait à [la] convaincre de quitter son poste constitue une faute grave

  • Le rôle joué par le service des Ressources humaines, a fortiori par son chef de service et par la Municipale en charge, ne visait pas à nuire au Secrétaire municipal mais bien à mettre en lumière des situations alarmantes et aux conséquences graves pour la santé et la personnalité des employé·e·s victimes. Si l’enquêteur reconnaît une certaine virulence dans les propos du chef de service, il précise encore que cette attitude se justifiait par le sentiment de gravité et d’urgence légitime mais également par le refus, qui trouve écho à plusieurs reprises dans le passé, de la Municipalité d’entrer en matière.

«À décharge, il faut tenir compte du fait que l'enquête a effectivement mis en lumière un comportement de ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] qui, de l'avis de l'enquêteur, a été parfois contraire à ses devoirs de fonction et justifie une sanction. Par conséquent, si ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le chef de service RH] peut lui-même se voir reprocher l'excès de ses propos destinés à faire ouvrir et avancer cette enquête pour qu'elle examine les récits des plaignantes, sa démarche n'était pas chicanière ou inutilement destinée à nuire à ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [au Secrétaire municipal], sauf à considérer qu'un responsable RH qui dénonce à la direction le comportement d'un autre cadre ayant – effectivement – manqué à ses devoirs de fonction lui nuirait inutilement, ce qui ne serait évidemment pas concevable.»

«Pour ce qui est de la suite des évènements, il est vraisemblable qu'Elise Buckle a eu peur de la situation grave et urgente qui lui était décrite; qu'elle a considéré qu'il fallait agir en extrême urgence.»

«On peut admettre qu'à ce moment-là, la solution trouvée par Elise Buckle pour traiter la situation consistait à s'en ouvrir auprès de Daniel Rossellat le 7 juillet 2021 et lui proposer diverses mesures, dont l'intervention de la Clinique du Travail. Il résulte du dossier que, lors de cette séance, ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Chef de service RH] et Elise Buckle ont eu l'impression que Daniel Rossellat les avait entendus, qu'il était d'accord avec les démarches envisagées, avant de faire une brusque volte-face le jeudi 8 juillet 2021, à la suite d'une discussion avec ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal]. Ils considèrent que Daniel Rossellat s'est ensuite fait le porte-parole de ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [du Secrétaire municipal] envers eux. A lire le contenu des courriels échangés, cette impression n'est pas incompréhensible.

Les jours qui y ont suivi ont été riches en échanges de notes et courriels. On y constate notamment qu'Elise Buckle a continué à tenter de convaincre Daniel Rossellat de faire intervenir la Clinique du Travail, ce que celui-ci a refusé catégoriquement.

Un élément d'accélération des événements provient, de l'avis de l'enquêteur, de la note que Daniel Rossellat a rédigée et adressée à la Municipalité le dimanche 11 juillet 2021 , à 16h52, en vue de la séance de Municipalité du lendemain; II est très vraisemblable que, recevant cette note la veille de la séance de Municipalité, Elise Buckle ait craint que le collège ne décide, le lendemain, de ne pas traiter les plaintes en question. C'est vraisemblablement ce qui explique qu'elle ait rédigé et envoyé tard dans la soirée la note du 12 juillet 2021 et qu'elle a peut-être considéré cette note comme «sa dernière chance» de convaincre ses collègues de faire quelque chose. C'est à la suite de cette séance de Municipalité du 12 juillet 2021, qui s'est avérée houleuse, qu'Elise Buckle a décidé d'envoyer à ses collègues son courriel du 13 juillet 2021 et ses annexes, vraisemblablement dans le but de se défendre de l'accusation d'avoir été manipulée par ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Chef de service RH].»

  • La Municipalité a non seulement eu connaissance de ces comportements et des conséquences sur les victimes mais a également protégé activement son auteur de toutes sanctions, et ce depuis plusieurs années :
    • en refusant de documenter les plaintes contre le Secrétaire municipal lors d’évènements plus anciens ou en refusant de prendre acte de conclusions à charge, empêchant ainsi l’ouverture de procédures légitimes.
    • en refusant de prendre des mesures face à des comportements connus et signalés
    • en multipliant, malgré la situation, le cumul de compétences et de pouvoir de ce cadre et de son service
    • et en participant, finalement, à la construction d’un sentiment - reconnu comme compréhensible par l’enquêteur - d’impunité entourant le Secrétaire municipal.

«La peur d'un licenciement et la crainte de représailles qu'ont exprimées ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l'employée C], ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l'employée D] ou ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [l'employé A] – et qui ne paraît pas feinte – trouve vraisemblablement et en partie au moins, son origine dans le fait que ces personnes en sont arrivées à considérer que ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] bénéficie d'une sorte d'immunité́ en raison de son statut particulier au sein de la Commune (triple rôle), ses liens professionnels étroits avec le Syndic et ses liens d'amitié étroits avec la Municipale Stéphanie Schmutz, entre autres. Selon cette perception, les collaborateurs en conflit avec ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] ou ceux avec lesquels il ne souhaite plus collaborer devront, de gré (convention de départ) ou de force, quitter leur emploi au service de la Commune, ce qui sera le plus souvent «réglé» par les «affaires spéciales».»

«▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [L’employée B] pouvait légitimement craindre le sort que lui réserverait ce «tribunal» [la Municipalité],sachant que sa «partie adverse» [le Secrétaire municipal] en côtoie les membres lors de leurs séances, qu’elle entretient une relation professionnelle étroite avec son président (le Syndic) et qu’un autre de ses membres est une amie proche (Stéphanie Schmutz). À cela s’ajoute l’importance que revêt l’activité de ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] en raison du cumul des rôles qui lui est confié et l’impression d’immunité qui peut résulter des circonstances.»

«S’agissant du point de savoir pourquoi ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Chef de service RH] n'avait pas entrepris de démarches préalablement, il a répété en cours d'enquête que ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le précédent Municipal en charge des RH] avait déjà tenté, en vain, une démarche et indiqué que c'était la première fois que des personnes ayant rencontré des difficultés avec ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal] avaient accepté qu'elles soient mises par écrit.»

«Deuxièmement, à la connaissance de l’enquêteur, l'intéressé [le Secrétaire municipal] n’a, de manière générale, pas été averti, ni sanctionné à ce jour pour son comportement. C'est d’ailleurs bien ce que soulève ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Chef de service RH] notamment en relation avec le rapport du Groupe Impact.» [3]

«Troisièmement, le Syndic était au courant des faits reprochés à l'intéressé [le Secrétaire municipal]»

«▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [L’Employée B] a demandé l'aide du Syndic au tout début du mois de février 2021, soit quelque 15 jours seulement après que le comportement de l'intéressé [le Secrétaire municipal] avait pris un tour véritablement blessant pour elle (épisode du panneau manquant, 18 janvier 2021). ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [L’employée B] est restée en contact avec le Syndic depuis lors, comme le démontrent les nombreux courriels qui ont été reproduits ci-dessus. C'est dire qu'il aurait été possible, à ces moments-là, de recadrer, avertir ou sanctionner ▮▮▮▮▮▮▮▮▮▮ [le Secrétaire municipal], pour lui signifier formellement que la Municipalité ne tolérerait plus cette manière de se comporter. Tel n'a pas été le cas.»

Au-delà d’un dysfonctionnement individuel, le cœur du système municipal

Pour le SSP, cette situation extrêmement grave met en lumière, au-delà des plaintes ayant émergé en 2021, une problématique plus large. Certes, la gestion de cette affaire par la Municipalité et son Syndic – dont le Secrétaire municipal dépend directement –, les comportements et l’impunité dénoncés permettraient d’éclairer plusieurs départs soudains, ayant parfois entrainé des coûts très conséquents pour la Commune. Mais au-delà du dysfonctionnement d’un individu, cette crise et le rapport de l’enquête mettent en lumière ce que le SSP dénonce depuis longtemps: le mépris du droit et la volonté affichée par la Municipalité de s’affranchir du poids des procédures et des règles. Ces règles qu’elle conçoit, de son propre aveu, comme nuisibles, en tout cas celles qui concernent la gestion de son personnel. En effet, l’enquêteur met en lumière une voie officieuse mais largement connue existant en parallèle à celle, officielle, des ressources humaines. Ces «situations spéciales» relèvent du Syndic directement, qui les confie au Secrétaire municipal pour une «exécution rapide»:

«Dans ce cadre, on relèvera encore que Daniel Rossellat, qui dirige les «affaires spéciales», portant sur des situations potentiellement très conflictuelles, est décrit comme n'aimant pas les conflits.»

«Il ressort des auditions que le traitement de ces « affaires spéciales » peut impliquer le Secrétaire municipal.»

«Par ailleurs, en termes de perception par les collaborateurs, il est vraisemblable que ce mode de fonctionnement ait contribué à créer, chez certains, l'idée ou la crainte qu'il existe les «RH officielles» et les «RH officieuses», les secondes ayant pour tâche de se séparer de collaborateurs en marge des règles officielles et légales.»

But avoué de cette voie: résoudre rapidement et sans s’encombrer d’une procédure «inutile» les dossiers concernant des employé·e·s jugé·e·s récalcitrant·e·s. De ceux et celles, comme argue la Municipalité dans son plaidoyer en faveur d’une abolition du Statut du personnel, qui nuisent à leur service? Plus probablement de celles et ceux qui insistent pour mener des procédures conformes au droit et aux règles, qui servent le service public et la population avant les intérêts d’une minorité et dont on préfère se débarrasser: c’est ce qui émerge lorsque l’on termine la lecture du rapport et des situations qu’il met en lumière.

Jeux de pouvoir à l’œuvre

On peut également s’interroger sur la concentration de pouvoirs et de responsabilités que la Municipalité n’a cessé de faire converger vers son Secrétaire municipal, malgré les plaintes qui le visaient, concentration que l’enquêteur relève. La mainmise du Syndic et de son Secrétaire municipal sur les Ressources humaines, empiétant sur le service compétent sans en respecter les règles et les devoirs, trouve des parallèles dans le passé. À titre d’exemple, en 2016, le service juridique voit partir sa cheffe d’office dans des conditions pour le moins obscures. Elle dépose une plainte à la Cour de droit administratif et public, la procédure sera réglée par une convention au contenu confidentiel. L’office juridique est alors démantelé et le pôle juridique échoit au Service de l’administration générale, sous la responsabilité du Secrétaire municipal et du Syndic. Plus récemment, en 2021, la cheffe du service informatique rencontre également des difficultés et son sort reste encore aujourd’hui incertain. Ce service est à son tour supprimé pour échoir, là aussi, dans les mains du Secrétaire municipal et du Syndic.

N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur ces choix «stratégiques», pourtant connus d’un Conseil communal pour l’occasion bien peu curieux?

À l’ère de la menace des attaques informatiques sur les communes et de la vulnérabilité des systèmes de protection des données sensibles des habitant·e·s, et alors que d’autres communes décident de renforcer leur service informatique, Nyon supprime le sien et relègue cette compétence à un service déjà surchargé – selon l’aveu du Syndic – sous la direction d’un cadre sans compétences spécifiques en informatique.

De plus, en se débarrassant de son office juridique et de l’avocate qui le dirigeait, la Commune de Nyon a décidé d’affaiblir son expertise et sa maîtrise des procédures juridiques. Là encore, on peine à voir l’intérêt pour un service public, mais il n’échappera à personne que la ville de Nyon aura tout de même fait le bonheur d’un nombre très conséquent d’avocats privés et de leurs études – une dizaine à notre connaissance en 2021 ! – qui ne doivent pas manquer de lui en être reconnaissant·e·s. Autant que les contribuables…

L’abolition du Statut de droit public, la solution miracle à tous les problèmes ?

À la lumière des éléments du dossier, il est difficile de ne pas faire de lien avec les négociations – en cours actuellement – autours du Statut du personnel communal. La Municipalité, par la voix de son Syndic, a en effet multiplié les références au secteur privé et à la facilité avec laquelle, sous un tel régime, les «problèmes» se règlent rapidement. Il n’a ainsi pas hésité à pointer le Statut du personnel et les rapports de droits publics qui lient l’Administration à ses employé·e·s, regrettant les règles et procédures qui l’empêchent, lui comme la Municipalité, d’agir promptement.

Mais il ne faut pas s’y tromper, cette solution miracle que la Municipalité envie tant au secteur privé, c’est la liberté contractuelle et ses licenciements facilités, loin des exigences d’équité ou encore de transparence. Et c’est cette volonté que l’on retrouve aujourd’hui, comme c’était déjà le cas en 2015, au cœur du projet du nouveau règlement du personnel.

Il est totalement faux, pour ne pas dire malhonnête, de prétendre que c’est au Statut et à ses garde-fous légaux que l’on doit l’ampleur de la crise actuelle. Ce n’est pas au Statut que l’on doit l’impunité dont semble profiter le secrétaire municipal, de l’avis même de l’enquêteur. Cela relève d’un choix de la Municipalité, qui ignore sciemment les plaintes et fautes dont il devrait répondre. Les mesures existent, dans le Statut et en droit public, pour agir contre celles et ceux qui nuisent, par leurs comportements, à la bonne marche de leur service, au bien-être de leurs collègues comme au service public. Encore faut-il vouloir les mettre en pratique!

Pour le SSP, les employé·e·s concerné·e·s par les propos menaçants du Syndic sont plutôt à chercher de l’autre côté de l’échiquier, du côté des plaignant·e·s et de celles et ceux qui par leurs signalements dénoncent le harcèlement comme l’ensemble des dysfonctionnements qui gangrènent la Commune de Nyon.

Chacun·e devrait aujourd’hui, à la lumière de ces constats, se pencher sur les négociations en cours autours du Statut du personnel et les implications qu’aura l’abrogation des rapports de droit public sur l’Administration. Au-delà des raccourcis faciles, voir populistes. Poser des garde-fous et cadrer les rapports de travail en veillant au maintien de règles strictes et transparentes, dégagées des intérêts personnels et des jeux politiques, sont la seule manière de s’assurer d’une gestion saine et pérenne de l’Administration publique. Il en va de l’intérêt des employé·e·s autant que de la population qui dépend de ses services et en financen les prestations.

Focus sur les conventions de départ dont la Municipalité use… et abuse!

Les conventions de départ peuvent s’avérer utiles pour régler certaines situations. Il s’agit essentiellement de cas où les rapports de travail ne peuvent se poursuivre, sans pour autant que la responsabilité de l’employé·e ne soit mise en cause. Il peut s’agir de conflits que l’on a laissé s’aggraver jusqu’au point de non-retour, d’atteintes à la santé qui rendent un retour impossible ou encore d’absence de soutien à la formation continue pourtant nécessaire à l’exécution de tâches qui évoluent (par exemple nouvelles technologies). La convention de départ est donc une manière de reconnaître, dans la rupture des rapports de travail, la responsabilité de l’employeur. C’est cependant toujours un constat d’échec, une solution du moindre mal. L’employeur évite essentiellement le dégât d’image, parfois une procédure judiciaire et les coûts qu’elle engendre. Il s’agit finalement d’assumer partiellement les responsabilités qu’il n’a pas pris au moment opportun. Mais le constat est là, l’employé·e a perdu son emploi.

Le cas des cadres supérieurs est plus complexe, surtout lorsque la démarche est réalisée de manière opaque, sans transparence dans la procédure et le contenu de la convention. Il peut s’agir, comme pour les employé·e·s, d’assumer un dommage subi par le cadre sans faute de sa part, par exemple lors d’un changement de direction politique, ce qui peut être fréquent dans les communes.

Malheureusement, les conventions de départ passées avec des chef·fe·s de service peuvent être utilisées pour étouffer des problèmes souvent plus graves. Des problèmes qu’une municipalité ne veut pas affronter. Elles sont souvent accompagnées d’une clause de confidentialité, avec l’avantage de réduire au silence les protagonistes des situations, y compris des victimes à qui l’on refuse ainsi la reconnaissance qui leur est due. Si elles limitent les risques pour l’exécutif, elles empêchent surtout une réelle prise de responsabilité sur les erreurs de gestion et constituent un obstacle à une gestion transparente de l’administration publique.

Lorsque le recours aux conventions de départ se systématise, pour des cadres de direction notamment, comme c’est le cas à Nyon, on peut se douter que les coûts financiers de ces conventions dissimulent un coût humain bien plus lourd! Il ne s’agit bien souvent pas de simplifier des procédures ou de préserver des employé·e·s, comme cela a pu être évoqué, car cela pourrait se faire de manière transparente et dans le respect des procédures de droit. Bien au contraire, le recours à ce mode opératoire, quand il devient systématique, peut être le symptôme d’un dysfonctionnement basé sur la dissimulation et l’évitement. Face à la multiplication de départs conventionnés d’employé·e·s, cadres ou non, un Conseil communal, garant de la bonne gestion par la Municipalité de l’administration et du service public, qui n’est pas une entreprise privée, devrait alors s’interroger sur les problématiques de fond qui entraînent ces départs, surtout lorsque cette situation semble s’étendre en temps et en nombre.


[1] Procès verbal de l’AG du 23.09.21

[2] « Toutefois, nous précisons également que nous vous donnons pour instruction de ne pas prendre contact avec d’autres personnes au sujet des difficultés que vous auriez rencontrées, au sujet de l’enquête, de ne pas tenter d’influencer ou de prendre à partie d’autres personnes, tout en vous rappelant l’importance de votre devoir de fonction et de votre devoir de réserve, dont la violation pourrait constituer une faute grave. » Mail de Daniel Rossellat, 16 août 2021

[3] Le groupe Impact a enquêté en 2015 sur des allégations de harcèlement sexuel à l’encontre d’un cadre, qui se sont relevées sans aucun fondement, et fabriquées de toutes pièces.