Les enseignant-e-s s'investissent sans compter

de: Interview Guy Zurkinden, rédacteur «Services Publics»

La fermeture des écoles chamboule le quotidien des enseignant-e-s, des élèves et de leurs familles. Elle risque aussi de creuser les inégalités face au système de formation. Questions à Cora Antonioli, présidente du SSP – Enseignement dans le canton de Vaud.

Photo Eric Roset

Le système éducatif a basculé vers le télé-enseignement. Cela pose de sacrés défis aux enseignant-e-s comme aux élèves…

Cora Antonioli – L’enseignement à distance ne pourra jamais remplacer l’enseignement direct. Il engendrera forcément un accroissement des inégalités face au système éducatif.

Déjà bien présentes en temps normal, ces inégalités sont renforcées de multiples manières lorsque l’enseignement se fait à distance.

Il y a d’abord les contextes familiaux très différents: on ne travaille pas de la même manière si on se trouve à six dans un appartement de cinquante mètres carrés, ou si l’on habite dans une villa dans laquelle chacun dispose de sa chambre et peut sortir au jardin.

L’aide que peuvent accorder les parents à leurs enfants varie aussi énormément. Une famille privilégiée pourra suivre de près la progression de ses enfants, voire leur payer des cours en ligne. Pour d’autres, ce sera beaucoup plus compliqué. Sans parler de celles et ceux qui doivent aller au travail et n’ont plus accès aux structures d’accueil !

Il y a aussi les disparités en termes d’équipement: nombre d’ordinateurs, d’imprimantes, accès à internet à la maison; elles portentais aussi sur l’accès au matériel plus « basique », notamment pour les petites classes. Certaines familles manquent de papier, de cahiers, de crayonspour réaliser les activités demandées.

Tous ces facteurs risquent de creuser les inégalités de manière exponentielle. Il est primordial d’y remédier au maximum.

Comment faire?

Il faut d’abord maintenir un lien social entre l’école et les élèves. Ce qu’on constate aujourd’hui sur le terrain, notamment dans le post-obligatoire, où beaucoup d’établissement négligent cet aspect, c’est que nombre d’élèves sont parfois déjà largué·e·s: ils·elles n’ont encore répondu à aucun message, alors qu’on nous demande de continuer à travailler. Il est déterminant de renouer ce lien.

Vous avez aussi formulé plusieurs revendications à l’attention des autorités…

Oui. Notre première revendication à l’attention du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) a été qu’il reconnaisse que le télé-enseignement ne peut en aucun cas remplacer l’éducation présentielle. Cela implique de revoir à la baisse les objectifs du programme scolaire: il faut viser à consolider les notions acquises en classe au cours de l’année, et non à amener de nouvelles notions à distance.

Nous avons aussi demandé des plateformes fonctionnelles et sécurisées, permettant aux enseignant-e-s de travailler tout en garantissant la protection de leurs données personnelles. Jusqu’à il y a deux jours, le DFJC nous disait d’avancer dans le programme, sans nous donner les outils nécessaires. La plateforme mise à disposition est restée inutilisable durant cinq jours. Chaque enseignant·e y allait de son petit logiciel, ce qui surchargeait aussi les élèves.

Pour l’école obligatoire, la situation est en train de s’améliorer. Ce n’est malheureusement pas encore le cas pour le post-obligatoire.

Les autorités vaudoises ont entendu vos revendications…

Suite à nos pressions, le DFJC a annoncé le 24 mars qu’il exauçait plusieurs de nos revendications pour l’enseignement obligatoire (DGEO). Il a d’abord confirmé que l’enseignement à distance ne remplacera jamais le présentiel. Il a par ailleurs décidé que les enseignant·e·s devront se concentrer sur la consolidation des acquis, afin de limiter l’augmentation des inégalités. C’est un pas en avant important. Le canton de Neuchâtel avait déjà pris position dans ce sens. La situation change cependant de canton en canton.

Le canton va aussi essayer d’équiper les élèves en matériel informatique: les établissements scolaires gèrent désormais un système de prêts d’ordinateurs.

Dans le post-obligatoire, la situation reste très floue. Le canton communique très peu. Officiellement, nous devons continuer à intégrer de nouveaux éléments du programme, à distance. C’est un sérieux problème.

Qu’en est-il des examens de fin d’année?

Pour le système obligatoire, le canton a décidé qu’il n’y aurait pas de notes durant cette période, ni d’épreuve cantonale. C’est un grand soulagement.

Pour le post-obligatoire, à nouveau, rien à part le fait qu’il n’y aura pas de notes à distance. Et la question des examens n’est pas réglée. La décision doit en effet se prendre au niveau fédéral, après discussions intercantonales. Nous demandons que la situation soit clarifiée au plus vite.

Il est clair que la date de réouverture des écoles jouera un rôle important. Si nous reprenons les classes après Pâques, nous aurons encore un moment pour avancer sur le programme. Mais les examens devront être, au minimum, allégés et basés sur les cours donnés en classe.

Cette situation chamboule aussi vos conditions de travail…

Totalement.

Au cours des jours qui sont suivi la fermeture des écoles, les enseignant-e-s ont subi de fortes pressions. On nous demandait de continuer le programme comme si de rien n’était, de mettre des notes, etc. Depuis, la situation a évolué de manière plutôt positive à la DGEO.

Comme toutes et tous, les enseignant-e-s sont aussi confronté-e-s aux conséquences de la situation d’urgence sanitaire entraînée par l’épidémie de coronavirus. Beaucoup sont parents. Ils doivent donc réorganiser leur vie familiale, combiner télétravail et garde des enfants, éventuellement gérer maladies des proches et périodes de quarantaine.

Dans un tel contexte, il est illusoire de penser que nous pouvons travailler comme d’habitude. Cela doit être intégré par les autorités. Cela n’a d’ailleurs pas empêché les collègues de s’investir autant que possible pour faire face à la situation, avec un impressionnant effort d’adaptation, d’innovation et d’attention envers leurs élèves.

La question des droits syndicaux se pose aussi. Comme syndicat, nous ne pouvons plus avoir de discussions avec les collègues comme d’habitude. Nous devons donc trouver d’autres voies. Dans cet objectif, nous avons demandé au DFJC d’avoir accès à toutes les listes de distribution électroniques de ses employé-e-s, afin de pouvoir communiquer avec elles et eux.