Le personnel des EMS particulièrement exposé

Des mesures politiques tardives, conjuguées à un sous-effectif antérieur à la crise, font des ravages dans les EMS. Peu écouté, dépourvu de protections et dépistage suffisants, le personnel travaille sans filet. Témoignages.

crédit photo: Eric Roset

Dès le début de la crise, les membres du syndicat ont dénoncé la catastrophe en cours.

Mesures tardives. Du côté de certaines directions, les consignes de protection et les interdictions des visites extérieures sont venues tardivement. Certaines ont manqué de réactivité pour empêcher la diffusion du virus. Maria raconte : « La direction n’a pas pris de mesures lorsqu’un nouveau résident en court séjour mangeait et se promenait dans tout l’établissement. Nous avons donné notre avis, mais personne ne nous a écouté-e-s. Il était plus important que les résident-e-s se sentent comme à la maison ».

Testé positif quelques jours plus tard, le résident est finalement isolé. C’est trop tard: d’autres personnes ont déjà été atteintes. « Ensuite, tout a débordé: résidents et personnel contagieux, décès en chaîne, stress et frustration à la hausse ».

Prié-e-s de se taire. Le manque de prise en considération et les remises à l’ordre par la hiérarchie empêchent les équipes de s’exprimer, comme le raconte Elena : « Nous avons une entrée dans une chambre à deux lits, avec une résidente qui a un protocole d’isolement et l’autre non, alors qu’elles ont une salle de bain et un WC communs. Ces résidentes présentent de forts troubles cognitifs avec des phases d’agitations ou de déambulations. C’est vraiment l’inverse du bon sens. Mais attention à ne pas marcher sur les plates-bandes des cadres! Si l’on envisage de faire une remarque ou une proposition, c’est entretien et humiliation assurés .»

Politiques à reculons. Du côté des autorités politiques, les mesures pour limiter la diffusion du virus sont aussi venues très tardivement. De nouveaux-elles résident-e-s ont été placé-e-s dans des EMS, sans confinement ni mesures de précaution suffisantes. À l’inverse, des lits ont été libérés dans les hôpitaux, plaçant des patient-e-s avec des pathologies lourdes dans des EMS où le virus était déjà très présent.

Personnel exposé. Même dans les institutions les plus touchées, le personnel n’a pas suffisamment de matériel de protection. Les normes de protection ont baissé face à la pénurie de masques FFP2. Le matériel est peu disponible dans l’ensemble du secteur de santé, et les EMS sont en bas de la chaîne d’approvisionnement. Les auxiliaires de soins sont particulièrement exposé-e-s. Faire une toilette en moins de 15 minutes est presque impossible. Des résident-e-s leur toussent dessus, mais les rares lunettes de protection et masque FFP2 sont réservés aux infirmières pour les soins plus invasifs.

Un masque durant 8 h 30. Une intérimaire: « J’ai travaillé dans un EMS sans blouse de travail, avec un seul masque chirurgical durant 8 heures 30. Une heure avant mon départ, j’ai su que des pensionnaires étaient atteints du virus dans l’établissement. J’ai averti l’agence intérim, qui était au courant et ne m’avait rien dit». Raphaël explique: « Nous avons des masques chirurgicaux, gants et surblouse, mais pas de solution hydroalcoolique. Nous devons garder notre masque toute la journée. Les surblouses restent dans la chambre du patient concerné durant 24 heures, nous l’enfilons à tour de rôle. Ma femme est enceinte, mais je dois continuer à aller travailler dans ce milieu à risques. Je suis inquiet ».

« Pression dingue ». Malgré cette exposition, aucune politique systématique de dépistage n’existe à ce jour – ni pour le personnel, ni pour les résident-e-s. Les autorités sanitaires ont ordonné, jusqu’à la semaine dernière, de ne tester que les deux à trois premiers résident-e-s présentant des symptômes. Le personnel n’a pas réellement accès à des tests de dépistage facilités et gratuits. Les personnes présentant des symptômes doivent continuer à travailler avec un simple masque tant que le résultat n’est pas positif; dans certaines institutions, même les malades sont invité-e-s à venir travailler. Isabelle se questionne: « Est-il normal de conseiller à ses employés de venir travailler avec des symptômes légers, même en cas de coronavirus avéré ? La pression de la direction et du RH est dingue ».

travail gratuit. La surcharge, cumulée aux nombreux arrêts maladie dus au virus, induit « une fatigue physique et psychique, du stress et des troubles du sommeil », raconte Laura. La réduction des équipes est épuisante. Les renforts de la protection civile sont les bienvenus, mais « tout n’est pas délégable », explique Rosa. Les étudiant-e-s et les apprenti-e-s du secteur viennent en renfort, sans aucune rétribution salariale. Marielle dénonce: « Je suis apprentie ASSC. Normalement je travaille trois fois par semaine; maintenant, c’est cinq fois, donc je suis à 100%. La fatigue se ressent, physique et morale. Mes deux semaines de vacances ont été annulées par mon employeur. Pour terminer, je ne suis pas payée. Je travaille donc gratuitement. Je ne trouve pas cela juste. Cela ne fait que démotiver les apprentis. Je suis pour aider, mais il faut aussi penser à la santé des personnes ».

Garantir la sécurité et augmenter les salaires

Sur les 279 décès dénombrés dans le canton de Vaud au 16 avril, plus de la moitié ont eu lieu dans les établissements médicaux sociaux (EMS). Un constat admis le 4 avril dernier sur la RTS par Rebecca Ruiz, dont le Département de la santé publique a fait preuve d’un laisser-faire coupable.

A l’initiative du SSP, les syndicats ont interpellé le conseil d’Etat et les faîtières patronales afin d’exiger pour tout le secteur davantage de matériel de protection et des formations spécifiques. Notre syndicat demande aussi un accès facilité et gratuit aux tests de dépistage, ainsi que le maintien strict à domicile des personnes à risque. Pour éviter de tendre davantage la situation, un moratoire sur les sanctions et les licenciements est également exigé.

Comme nous le dénonçons depuis longtemps, les dotations dans les EMS sont insuffisantes. La crise du Covid-19 ne fait qu’accentuer la surcharge d’un travail aujourd’hui totalement reconfiguré. Les sorties et les visites étant impossibles, de nombreux résident-e-s étant isolé-e-s dans leur chambre, les soins, l’alimentation, le nettoyage et les animations doivent en effet être adaptés.

Après la crise, il s’agira de s’organiser collectivement. Nous exigeons en effet que l’Etat et les faîtières patronales reconnaissent le travail effectué durant cette période de crise, par des primes de risque et de pénibilité ainsi que par une hausse significative des salaires. Un véritable plan d’investissement financier est nécessaire pour développer un service public de la santé et repenser entièrement le système des EMS !

Article publié dans le Journal du Syndicat suisse des services publics N°7 le 24 avril 2020.

Témoignages anonymisés récoltés via le questionnaire du syndicat: Coronavirus et travail dans les services essentiels.