Vers une politique des quartiers reproductrice des inégalités sociales?

de: Groupe syndical FASL

La Ville de Lausanne, pourtant à majorité socialiste, met en place depuis dix ans une politique des quartiers inquiétante par le biais de sa secrétaire générale de la Direction de l’enfance, de la jeunesse et des quartiers, avec l’aval de la Municipalité. La Ville se dédouane de toute responsabilité dans la répartition des richesses sociales à travers le leurre de la participation, elle concentre ses infrastructures et ses ressources dans les quartiers déjà privilégiés socio-économiquement et culturellement, touristiques et à forte portée électorale.

Par le biais de cette politique du projet et du contrat de prestation, la Ville de Lausanne institue non seulement la concurrence entre quartiers dans leur accès au service public et à la redistribution des richesses, mais passe aussi d’une logique d’animation socioculturelle avec une méthodologie axée sur le moyen/long terme, certifiée HES et dont l’éthique professionnelle est garantie par une charte (1) et ses valeurs ; à une vision à court terme, un catalogue de prestations et d’événements plus liés au modes politiques du moment qu’à une réelle vision à long terme et tend vers une libéralisation du travail social.

Le démantèlement d’une profession.

L’animation socioculturelle (ASC) est un métier jeune, et son utilité, sa pertinence, son organisation et plus encore la légitimité à professionnaliser la discipline est une fois encore mise à mal par le politique qui cherche à l’instrumentaliser. Les audits en tout genre laissés aux mains d‘« experts » externes à la profession tentent régulièrement de discréditer les actions menées sur le terrain, servant de base pour remodeler, reconfigurer, transformer et ajuster un métier qui tente, quant à lui, de se développer de manière empirique et locale selon les territoires investis, avec des publics d’âge, de milieux sociaux et aux réalités socio-économiques diverses pouvant varier d’un lieu à l’autre.

L’émergence de ce métier est née d’une nécessité des milieux associatifs et citoyens d’avoir des espaces d’expression et d’expérimentation, mais aussi et surtout de lieux où les liens sociaux peuvent être renforcés par des actions concrètes. Développant également des milieux de prévention et de socialisation, les animateurs et animatrices socioculturel.le.s ne peuvent faire leur travail qu’en ayant une latitude professionnelle permettant de définir leurs interventions, non pas en lien avec des envies administratives ou des tendances du moment mais bien en fonction des constats identifiés sur leur terrain et dans leur champs d’action.

Vers le contrat de prestations.

Depuis plusieurs années, suivant une logique de normalisation et de contrôle des pratiques, les politiques des quartiers menées par la Ville de Lausanne et sa majorité de gauche, ne font pas abstraction de la tentation de vouloir contrôler les pratiques de cette profession et remettent continuellement en question ses conditions de travail et la CCT les garantissant. Passant d’abord d’une « charte de l’animation socioculturelle lausannoise » à une « convention de subventionnement », c’est maintenant le « contrat de prestation » qui pointe le bout de son nez, avec notamment un appel d’offre pour l’animation annoncé pour ce mois de septembre.

Quand la participation justifie l’exclusion sociale.

Les différents postes développés au sein de l’administration – chef de service, coordinateur des quartiers, chefs de projets – ne font que renforcer une gestion des quartiers dite descendante au détriment d’une organisation ascendante, basée sur l’associatif et ses processus citoyens. Cette dynamique issue du new public management et ses outils évaluatifs décontextualisés ne peut se mettre en place sans le démantèlement de l’ASC et de la fondation qui en garantit les fondements et les valeurs, de même que ses conditions de travail au travers de la CCT.

Ce changement de paradigme encourage largement la reproduction d’inégalités sociales dans les quartiers : la répartition des ressources ne se fait plus selon des besoins identifiés par les professionnel-les présent.e.s sur le terrain appuyés par les associations de quartier, mais selon la capacité des quartiers à participer, à être pro-actif et à tisser des liens avec les autorités et l’administration.

Cette approche à court terme, qui a en effet peu trait à l’ASC, tient aujourd’hui plus de l’événementiel, d’un service de garde ou de l’hygiènisation de l’espace public que d’une réelle action d’animation socioculturelle basée sur un projet d’intégration, de sociabilisation et de solidarité qui ne peut se déployer que dans une vision et des garanties à long terme.

Le processus avant le résultat.

En effet, le « vivre ensemble », l’accès aux ressources, l’empowerment, le respect de l’Autre, la sociabilisation et le travail sur l’estime de soi de cette jeunesse paupérisée et autres processus intégrateurs sont certes moins propices à un resultat visible et mesurable dans l’immédiat, mais imaginer pouvoir considérer ce travail comme une prestation, c’est oublier que fondamentalement et intrinsèquement, en animation le processus est plus important que le résultat.

La mise en œuvre d’un budget participatif tel qu’il a été pensé par le Service de l’enfance, de la jeunesse et des quartiers n’est qu’un premier aperçu de cette répartition des richesses basée sur une concurrence dont les principaux protagonistes – à savoir les habitant.e.s- sont dotés de capitaux sociaux et culturels forts disparates entre quartiers.

Changement de paradigme

Cette politique du projet et du contrat de prestation implique en outre que les urgences ne sont plus définies par l’analyse des professionnel.le.s du terrain, en étroite collaboration avec les associations, mais bien par le politique et ses urgences électorales. Il s’agit donc d’un changement majeur de paradigme dans les champs de l’animation socioculturelle où le politique et la bureaucratie s’attribuent l’expertise d’une profession quitte à en bafouer les fondements.

(1) www.anim.ch