«Un choix de société»

Le 3 décembre, le personnel de l’enfance vaudois a mené une deuxième journée d’actions et de grève. Aux sources de sa colère: le danger d’un grand retour en arrière – et le mépris des élus.

Photo Valdemar Verissimo

«CVE Sallaz en grève, mais là pour les enfants». À l’entrée de la structure d’accueil lausannoise, une affiche donne le ton: ce lundi 3 décembre, les professionnels de l’enfance sont à nouveau mobilisés. Sur la vitre, les enjeux du conflit sont résumés en quelques mots-clés formant une marelle: «des espaces de travail saturés» ; «moins de professionnels, plus d’enfants»; «conditions de travail et d’accueil irrespectueuses». Et, à côté : Nous ne jouerons pas à ce jeu-là».

Au travail, mais mobilisées

À l’intérieur, la journée se déroule de manière presque normale. Les petits pensionnaires, âgés de quelques mois à 4 ans, sont tous là. «Le 13 novembre, la grève a été totale, explique Céline Bellenot Richner, éducatrice de formation, aujourd’hui directrice du Centre de vie enfantine (CVE). Grâce à la collaboration des parents, nous n’avons pris en charge qu’un seul enfant, sur les 22 que nous accueillons habituellement ». Aujourd’hui, la mobilisation prend des formes différentes: « Nous nous relayons sur le piquet de grève devant l’Etablissement intercommunal pour l’accueil parascolaire (EIAP). Et tout le monde porte le badge du mouvement».

Dès 17h, une soupe aux courges sera servie aux parents. Entre les bols et la décoration du sapin, les éducatrices expliqueront les enjeux de leur lutte – et pourquoi celle-ci risque bien de continuer. L’opération «explications» se déroulera toute la semaine.

Toutes concernées

Le cadre de référence au rabais proposé par l’EIAP s’appliquerait aux structures parascolaires – qui prennent en charge les enfants de 4 à 12 ans. Le CVE Sallaz ne serait donc pas directement impacté. Mais pour Céline et ses collaboratrices, c’est toute la profession qui est attaquée: «Nous avons été formées comme éducatrices pour tous les enfants, de 0 à 12 ans. Et si nous laissons passer ces attaques, demain les Centres de vie enfantine seront visés.»

Céline et son équipe prennent leur travail à cœur. Elles ne peuvent tolérer que les enfants paient les pots cassés par la pingrerie d’une poignée d’élus: «Nous aidons les enfants à acquérir un savoir-vivre en collectivité, dans le respect. Cela va bien au-delà d’un simple gardiennage et des questions de sécurité. Or les nouvelles normes de l’EIAP risquent de jeter tout ce travail à l’eau. Tout cela parce que les communes veulent faire des économies!»

L’ignorance comme boussole

«Ceux qui ont décidé du nouveau cadre ne connaissent pas le terrain» tranche Carolina, éducatrice. «De l’extérieur, s’occuper d’enfants peut paraître simple. Mais c’est une tâche délicate. Il faut mettre sur pied un cadre sécurisant, tout en évitant de modeler l’enfant selon nos envies. Si ce travail est mené par du personnel non formé, cela peut devenir une catastrophe.» C’est aussi l’avis de Cécile, qui terminera sa formation dans quelques mois: «Il nous faut des outils professionnels pour accueillir les familles et gérer des situations parfois complexes. Au quotidien, nous devons être adéquates, empathiques, soutenir le développement des enfants. Ces compétences ne sont pas innées. Elles s’acquièrent.» «Sans formation, on devient vite autoritaire, brusque. Il y a un danger de revenir à des principes éducatifs du passé », ajoute Cécile.

L’augmentation de la taille des groupes est un autre motif de préoccupation: «On ne pourra plus réaliser correctement des missions comme l’éducation alimentaire au moment des repas, la prévention lors des trajets. Et on n’aura plus le temps de discuter avec un enfant quand il en exprimera le besoin. Ce ne sera plus un travail de qualité», dénonce Carolina. Comme ses collègues, elle se dit prête à repartir en grève si l’EIAP campe sur ses positions.

Retour en arrière ? À Pully, sur le piquet de grève, l’ambiance est tout aussi déterminée. «Ce nouveau cadre ne prend pas en compte les missions définies par la Loi sur l’accueil de jour. Il s’agit d’un mépris complet de la complexité de notre travail. Si l’EIAP ne recule pas, nous sommes prêts à mener de nouvelles grèves», confie le directeur d’une Unité d’accueil pour les écoliers (UAPE).

Jérémie, éducateur dans une UAPE, travaille avec des enfants de 4 à 6 ans. Sur la même longueur d’onde, il appelle à «durcir le mouvement». Les motifs de sa présence ? «Je me bats pour la qualité de l’accueil. Plus on va augmenter le nombre d’enfants, moins on aura de temps avec chacun.» La déqualification du personnel est, à ses yeux, inacceptable: «Prendre en charge un collectif d’enfants est différent qu’être parent. C’est ma formation qui m’a permis d’acquérir les outils nécessaires à ma pratique. Elle m’a aussi ouvert à différentes disciplines: sociologie, psychologie, philosophie et la politique. Toutes ces connaissances sont nécessaires pour s’occuper des enfants.»

Claudia, auxiliaire depuis plusieurs années, en fait l’expérience au quotidien: «J’ai travaillé comme auxiliaire dans un APEMS [Accueil pour enfants en milieu scolaire, qui prend en charge les enfants de la 3e à la 6e primaire, Ndlr.], puis dans un CVE. Quand on n’a pas suivi une formation adéquates, comme c’est mon cas, il est difficile de savoir ce qu’il faut mettre en place pour les enfants». Sa collègue Estelle pointe un autre problème: «Et la sécurité ? Les enfants seront plus nombreux, mais nous n’aurons pas de paire d’yeux en plus. "Elles ont déjà de la peine à gérer aujourd’hui. Comment feront-elles demain, si elles sont encore moins ?", m’a demandé ma fille, qui fréquente un APEMS!»

Un débat incontournable

«Si on les met les jeunes en troupeaux, encadrés par des personnes qui n’ont pas assez de formation, cela aura des conséquences sur toute la société – avec le risque d’une augmentation de la violence et des incivilités», alerte Céline Bellenot.

Avant de résumer les enjeux de la bataille en cours: «Nous nous trouvons face à un choix de société. Soit on fait un pas vers un accueil et une éducation basés sur le respect et la bienveillance, soit on retourne en arrière. C’est un débat auquel on ne peut pas échapper aujourd’hui – comme celui sur les questions environnementales.»