« La première fois que je suis entrée dans un foyer, c'était il y a pile 2 ans.
Je me rappelle les odeurs et les regards. L'ennui et l'enfermement. La surpopulation et l'indignité. La tension et la tristesse.
Crasse et laisser-aller
Je me rappelle aussi les fils électriques dénudés, la crasse, les tags, le laisser-aller global de l'établissement, qui me fait plus penser à un lieu désaffecté ou en voie d'extinction qu'à un chez-soi pour qui que ce soit.
Je me rappelle enfin mon malaise. Une sale boule au ventre, une grosse pression sur mon cœur.
D'aucuns diront : « Bah Ils ont déjà un toit, qu'ils soient contents ».
Bah oui, telle est la logique imparable des gens qui n'ont jamais connu l'exil ou le besoin. Il semblerait que la dignité soit leur apanage exclusif. Que le propre, le confortable, l'intimité ne séduiraient que des gens qui ont toujours connu cela ou qui y ont vécu depuis longtemps.
Vous avez dit « Prison » ?
Parce que – entre nous, hein – quand tu es un enfant, que tu as fui ton pays, que tu n'as plus ou peu de parents, plus du tout de foyer et qu'en plus tu es étranger, tu dois déjà t'estimer heureux d'avoir au moins une petite piaule qui pue, que tu dois partager avec six autres personnes.
Qui ne parlent pas forcément ta langue; avec qui tu ne t'entends pas forcément bien; que tu n'as donc définitivement pas choisi
Vous entendez « prison », tiens c'est drôle... Parce que finalement, comme tu as su te contenter de peu depuis tout ce temps, tu ne devrais pas trop en demander.
Parce que la merde tu connais, alors c'est plus facile de travailler sur ta résignation que d'éduquer d'autres maillons de la chaîne à la frugalité. Parce que de toutes manières, doit-on vraiment miser sur toi? Te donner cet accueil que tu t'attends à avoir?
Pas d’argent pour qui ?
D'autres encore diraient que, du coup, il n'y a pas d'argent pour cela, pas de moyens. Satané fric, n'est-ce pas? Nous courons tous après. Nous hiérarchisons, nous prévoyons, faisons de pronostics pénibles et difficiles. Un animal vaut plus qu'un réfugié.
Non, pardon, un réfugié vaut plus qu'un animal. Mais si l'animal est un chien? Hum, bonne question. Et un ado à problème, il se place où, lui? Merde, il y a encore les vieux, les toxicos, les SDF, les gens dans le besoin... Et il y a surtout les Suisses à problèmes.
Pas né au bon endroit
Les Suisses versus toi. Toi qui n'es pas né au bon endroit, au bon moment, peut-être. Toi qui aurais préféré y rester certainement, dans ton endroit, ton pays, peinard, avec ta mère ton père, tes frères et tes soeurs.
Au lieu d'atterrir ici, seul, où l'on te promène, te ment, te punit, te fait la morale, te met sous tutelle – la belle tutelle, son attente est mortelle –, te donne des super barquettes à bouffer et des espoirs à enterrer.
Où l'on t'enferme et t'érige en délinquant, parce que ça nous arrange bien.
La vie a donc décidé de te tester, à l'infini, MERCI, infiniment. Elle t'apprendra rapidement que tu vaudras souvent moins que les autres, tous les jours, tout le temps. La hiérarchie des gens et des problèmes, je vous le disais.
Merci à toi
Alors aujourd'hui, et bien que de manière quelque peu sarcastique je vous l'accorde, je m'exprime pour toi.
Pour que l'on pense plus à toi. Pour que nous n'oubliions pas tes tristesses, tes souffrances, ta résilience, ton courage, ta force, ta bravoure, ta sagesse. Tu es tellement de choses, tu as tellement d'histoires.
Être une marraine c'est pas juste « trop cool et trop sympa pour eux ». Non. C'est un réel échange, une joie partagée, des moments sacrés. Je m'estime honorée d'avoir eu la chance de te rencontrer. »